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toujours outrecuidant, type achevé du faiseur et du chevalier d’industrie[1].

L’enquête n’eut garde d’oublier « tant de personnes de qualité » que la Chambre avait « décrétées d’ajournement personnel. » Dans cette catégorie, l’une des plus compromises était la princesse de Tingry, la demi-sœur de la duchesse de Luxembourg, intéressée comme telle dans l’affaire des bois de Ligny, et dont le nom s’était trouvé môle aux pactes signés par Bonnard avec « l’Esprit du mal. » Religieuse à l’âge de douze ans, maîtresse des novices à dix-huit, puis défroquée, relevée de ses vœux, chanoinesse de Poussay, dame du palais de la Reine, dès lors assidue à la Cour, « dont elle ne bougeait pas, » Marie-Louise-Claire de Luxembourg, plus connue sous le nom de princesse de Tingry, n’avait la mine ni le renom d’une personne bien équilibrée. Les Mémoires nous la représentent comme excentrique en ses allures, variable en son humeur, sujette à des colères subites, que s’amusait à provoquer la taquinerie malicieuse de ses proches. Elle avait été fort jolie, et tant soit peu galante, si l’on en croit les médisans. Certains propos donnent à penser qu’elle aurait eu jadis, malgré la parenté, quelques faiblesses pour Luxembourg. Quoi qu’il en soit, de longues années avaient passé depuis cette aventure[2], effaçant le souvenir des péchés de jeunesse, emportant également tout vestige de beauté. « Je n’aurais jamais soupçonné la princesse de Tingry de galanterie, écrivait à présent La Rivière à Bussy[3] ; sa figure m’avait garanti sa réputation et, si j’avais eu une maîtresse comme elle, je n’aurais jamais craint pour rivaux que des aveugles ! » Quand, par la suite, M. De La Reynie interrogera le maréchal sur son intimité avec cette belle-sœur surannée : « Pour son amitié, je crois l’avoir tout entière, lui répliquera railleusement Luxembourg ; mais, si j’en désirais autre chose, je m’en aviserais un peu tard. » Pourtant, et tout inoffensive fût-elle, du jour qu’on la sut impliquée dans le procès de Luxembourg, la calomnie se déchaîna contre elle avec une violence inouïe. Il circula d’effroyables histoires d’avortemens, d’enfans égorgés et

  1. Lettre du gouverneur de Perpignan. Archives de la Bastille. La Chambre de l’Arsenal, par P. Clément. Revue des Deux Mondes du 15 février 1864.
  2. Dans son interrogatoire, elle se donne quarante ans, mais il est très certain qu’elle en avait bien davantage.
  3. 9 février 1680. Correspondance de Bussy-Rabutin,