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ardemment comme à l’un de ses droits essentiels. Le jour même qu’il apprit l’arrestation de Luxembourg, le premier président du Parlement de Paris, M. De Harlay, prévit la chance d’un épineux conflit. Esprit souple et prudent, habile courtisan du pouvoir, il écrivit aussitôt à Colbert pour demander une ligne de conduite. « Monsieur, lui disait-il[1], la qualité de M. De Luxembourg lui pouvant, dans la suite, faire présenter quelque requête au Parlement, pour y réclamer les juges qui sont accoutumés de connaître des procès criminels des pairs de France, je crois qu’il est de mon devoir de vous supplier de me faire savoir ce qu’il plairait au Roi que je lisse à ce sujet, si cela se présentait, désirant également obéir aux ordres de Sa Majesté et par mes services et par mon silence. »

La réponse du Roi fut formelle : il avait institué pour ces sortes d’affaires « une chambre qui était au-dessus de tous les parlemens ; » il entendait, en conséquence, que tous les accusés, sans aucune distinction de rang ou de fortune, les plus humbles comme les plus grands, subissent la même justice et fussent égaux devant la procédure comme devant la juridiction. Le maréchal fut instruit par Bézemaux de cette décision sans appel. Estimant toute résistance vaine, il résolut de s’y soumettre, en réservant seulement, par une protestation expresse, « les droits des pairs du royaume, ses confrères. » En dépit de cette précaution, la renonciation de Luxembourg à « ses juges naturels » souleva, parmi les ducs et pairs, des colères violentes, valut à son auteur d’ardentes inimitiés. Beaucoup y virent une trahison ; et, quatorze ans plus tard, dans un factum livré à la publicité, le duc de Richelieu lui reprochera encore d’avoir, à ce moment, signé sa propre déchéance et « dégradé la dignité de pair. »

Peu d’instans s’écoulèrent avant qu’il eût à mettre sa résolution en pratique. Louvois, dès le 25 janvier, pressait les commissaires d’agir : « M. De Bézemaux, écrit-il à Bezons[2], a eu hier au soir un ordre pour que vous et M. De La Reynie puissiez interroger M. De Luxembourg et lui parler toutes et quantes fois que vous le désirerez. » Le lendemain, dans l’après-dînée, les deux commissaires de la Chambre se présentaient ensemble à la Bastille. Introduits près du prisonnier, ils procédaient sur l’heure

  1. Lettre du 25 janvier 1680. Archives nationales K. K. 598.
  2. Louvois à M. De Bezons. Archives de la Bastille.