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et par son intermédiaire, c’est, comme on dit de nos jours, une « mentalité » quasi française qui se répand ? Les amateurs que M. J. Novicow a vus jouer l’Étincelle, et les auditeurs de choix qui les applaudissaient probablement, se reconnaissaient eux-mêmes dans les personnages de Pailleron, ils se retrouvaient dans l’intrigue légère, dans le marivaudage parisien, dans la « psychologie » de sa comédie. Ils sentaient « à la parisienne » et ils pensaient « à la française. » Et, plus ou moins, n’est-ce pas le cas de tous ceux qui font leurs délices, à Berlin ou à Londres, à Rome ou à Saint-Pétersbourg, de la représentation d’un drame ou de la lecture d’un roman français ? Leur plaisir opère en eux les effets de la sympathie. Des manières de sentir ou de penser s’établissent en eux qui, d’un goût passager, deviennent des habitudes, et selon le mot de M. J. Novicow, « les rendent partiellement Français. » C’est une importante conséquence de la diffusion de notre langue et du caractère de notre littérature. Ou encore, et plutôt, ne serait-ce pas là ce que nous cherchions tout à l’heure, j’entends la formule de la relation qui lie l’une à l’autre une littérature et une langue ? On apprend une langue dans les chefs-d’œuvre de sa littérature, afin de pouvoir en jouir ; et la connaissance de cette langue, à son tour, crée dans les esprits des exigences conformes ou analogues aux qualités qui ont fait dans l’histoire et qui font encore tous les jours la fortune de cette littérature.

En voulons-nous immédiatement la preuve ? « Considérons donc, dit M. J. Novicow, la littérature scientifique… L’Allemagne l’emporte probablement par la quantité, mais la France reprend l’avantage par la qualité… Les Français reprennent l’avantage, grâce au talent avec lequel ils savent établir une juste pondération entre les parties, et grâce à la clarté de leur langue… Sachant également le français et l’allemand, on n’hésitera pas à prendre le traité de chimie ou de physique d’un auteur français, plutôt que celui d’un auteur allemand. » Et la conclusion est précisément celle que nous indiquions, à savoir que « les livres scientifiques français, ayant des qualités remarquables, poussent à l’étude de la langue dans laquelle ils sont écrits. » Autre moyen encore d’expansion et d’action ! A mesure que les progrès eux-mêmes de la science font éprouver à tous ceux qui s’y intéressent le besoin d’une langue « universelle, » dont la connaissance puisse dispenser le physiologiste ou l’astronome