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plusieurs fois, et qui n’a d’ailleurs été imitée par aucun des journaux qui se respectent ; de cette longue expérience, vous êtes sorti plus grand, plus fort, plus honoré que vous n’étiez ; elle vous a mûri. Aujourd’hui, on compte sur vous en France ; les hommes politiques se disent : « Pourquoi immobiliser le Duc d’Aumale en Afrique ? Il nous le faut à Paris, en France, pour l’éventualité d’une régence. » Les militaires se disent : « Le Duc d’Aumale est notre homme, il est appelé à être le véritable chef de l’armée. » Partout on vous estime, et tous ceux qui vous ont approché vous aiment. Il n’y a dans tout cela, mon cher Prince, rien qui justifie le découragement ni la plainte. La fortune vous a splendidement traité ; la naissance vous a fait prince français ; Dieu vous a fait naître dans un siècle de lumières et dans un pays libre, où votre éducation ne vous distingue pas moins que votre rang ; vous avez eu à la guerre un bonheur admirable ; il n’y a pas un prince en Europe qui ait, aujourd’hui, une auréole de gloire militaire comparable à celle qui rayonne sur votre jeune front ; il est vrai que nous sommes en paix avec le monde, et que la concurrence n’est pas grande ; mais cela même est un bonheur de votre destinée, d’avoir acquis le renom d’un homme de guerre dans un temps de paix. Ne vous plaignez donc pas, mon cher Prince, de l’injustice de l’opinion ; elle vous honore, elle vous apprécie et elle compte sur vous ; mais ne vous défiez pas d’elle.

Pardonnez-moi cette longue tirade, je ne supporte pas l’idée que vous éprouviez, sans motif, une de ces souffrances que cause si légitimement à un cœur généreux l’injustice des hommes. Ayez confiance, encore une fois. On vous sait gré de ce que vous faites, car vous êtes devenu, à vingt-deux ans, et par l’effet de, votre conduite sage et courageuse, un des hommes les plus importans de votre pays. On travaille toute une vie pour arriver à ce résultat, que l’on n’atteint pas toujours. Tenez-vous-en là pour le moment, et revenez en France, où vous jouirez de quelque chose qui vaut mieux encore que le respect dû à votre rang, de la considération méritée par vos services ; M. Villemain, dans son discours à la Sorbonne, y a fait une allusion qui a été applaudie avec enthousiasme. On ne vous oublie pas, ni à l’Université ni ailleurs. Adieu, mon cher Prince, croyez à mon dévouement inaltérable.