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Paris, 12 mai 1843.

J’ai reçu ce matin, mon cher Prince, votre petite lettre de Médéah ; je vous remercie du souvenir et de l’intention. Celle de M. Jamin m’adonne beaucoup de détails sur votre prochain départ et sur l’expédition que vous allez diriger en personne[1] ; je vous félicite de cette occasion qui vous est à la fois donnée de vous montrer sur un plus grand théâtre et d’y jouer un plus grand rôle. Je suis sûr de vous ; je voudrais l’être autant de la fortune. Tous mes vœux vous accompagnent, et, comme j’ai la conviction que vous avez gardé le cœur très joyeux, je ne veux mêler aux souhaits que je vous adresse, et qui seront d’ailleurs accomplis, je l’espère bien, quand vous lirez ma lettre, que la dose amère d’anxiété qui est inséparable de la joie et de l’orgueil de ceux qui vous aiment et qui vous attendent…


Paris, du 26 mai au 2 juin 1843.

Le plaisir que j’ai ordinairement à vous écrire s’augmente aujourd’hui, mon cher Prince, de tout le bonheur que j’éprouve à vous féliciter de votre belle conduite et de votre brillant succès. Vous avez été brave ; cela ne m’a guère surpris, comme vous le pensez bien ; mais l’élan de votre bravoure vous a servi à faire une chose très difficile à la guerre, à ce qu’il paraît, à vous décider dans une situation très douteuse et très perplexe, en sorte que vous n’avez pas été audacieux seulement comme un jeune homme qui voit un bon coup de sabre à donner, mais comme un général qui a une troupe à sauver et à illustrer : car, du même coup, vous avez fait les deux choses. C’est avoir la main heureuse. Je vous félicite donc, et cela sans phrases, et du fond de mon cœur. S’il y a quelqu’un au monde, après vos augustes parens, qui ne soit pas suspect d’indifférence quand un commencement de gloire vient ainsi rayonner sur votre jeune front, c’est bien moi. Aussi n’est-ce pas de ce sentiment, Dieu merci, que j’ai à me défendre, mais du sentiment contraire. La première nouvelle de votre victoire m’a d’abord causé un enthousiasme que j’ai ensuite fait descendre à un diapason plus digne de votre modestie, qui a été dans cette affaire, un de vos mérites les plus

  1. Rentré pour quelques jours à Médéah, le Duc d’Aumale préparait une expédition dans le Sud, celle qui devait amener la prise de la smalah d’Abd-el-Kader.