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pied du Jurjura[1], c’est donc sous l’impression d’une joie bien vive que je vous écris. J’ai hâte de vous féliciter, d’abord, d’avoir échappé au double danger que vous avez couru, celui de la saison et celui de la guerre ; ensuite, mes félicitations s’adressent à la manière dont vous avez conduit toutes choses pendant cette terrible épreuve, qui est pour vous, si je ne me trompe, la première d’un commandement sérieux, avec responsabilité, sous la pluie, devant l’ennemi. Jusqu’à présent, quand vous aviez l’ennemi en face, vous aviez du moins un beau ciel au-dessus de la tête ; ou bien, quand le temps était mauvais, l’ennemi était loin ; cette fois, vous avez eu toutes les chances contre vous. Une lettre du commandant et une autre, de Marengo, m’apprennent comment vous vous êtes tiré de ce mauvais pas, et je vous en fais mon compliment, parce que vous avez eu besoin, dans cette épreuve, de quelque chose de plus que le courage et l’élan d’un jeune homme, c’est-à-dire de la prévoyance, du sang-froid et de la constance de l’homme fait. Votre petite lettre ne m’en dit pas tant, mais votre éloge est ailleurs. Marengo m’écrit d’Alger que le gouverneur est enchanté de vous, et ce que me mande votre fidèle Achate confirme, pour moi, ce rapport que j’aurais pu attribuer à l’enthousiasme du vieux colonel. Je suis donc, de toute manière, ravi des nouvelles de ce matin ; je viens d’envoyer toute ma provision de lettres à la Reine, pour ajouter aux renseignemens que Sa Majesté a pu obtenir de vous ou par toute autre voie. J’éprouve le besoin, quand je suis heureux, de faire partager mon bonheur, et je n’en ai pas de plus grand au monde que de vous savoir la vie et l’honneur saufs. Il est vrai que, pour votre honneur, je suis bien tranquille. Mais vous pouvez être malheureux, et, au début d’une carrière, un prince a besoin que la fortune soit toujours du parti de son courage. Vous laissera-t-on, maintenant, quelque repos ?…

  1. Bivouac de l’Oued Khekam
    au pied du Jurjura, 15 mars 1843.
    « Un mot seulement, mon cher-ami, pour vous montrer que je ne vous oublie pas. Malgré le temps abominable que nous avons constamment depuis quinze jours, je me porte à merveille et j’ai poursuivi, contre vent et marée, les opérations dont j’étais chargé pour assurer l’autorité de Mahi-ed-Din, notre khalife pour la province de Sebaoun. J’ai pacifié, sans coup férir, l’aghalik des Béni Djaad, et j’ai eu un assez joli combat avec les Nezlioua (Kbaïles du Jurjura) et les réguliers de Ben Salem. Je compte être rentré à Médéah dans une dizaine de jours. Je n’ai pas le temps de vous donner d’autres détails. Adieu.
    Tout à vous, H. O.