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Sur les théologiens Stanley et Robertson. Smith, notamment, sur les historiens Freeman et Green, sur le romancier Trollope et le philosophe Sidgwick, on trouvera dans le recueil de M. Bryce une foule de renseignemens des plus précieux ; on en trouvera aussi sur le cardinal Manning et le célèbre chef irlandais Parnell, bien que les jugemens que porte sur eux M. Bryce ne laissent pas de faire voir un certain parti pris ; et, dominant le reste du volume à la fois par leur importance propre et par celle de leurs sujets, deux grandes études sur Disraeli et sur Gladstone suffiraient, à elles seules, pour recommander à notre attention l’œuvre de l’éminent écrivain anglais. C’est elles que je vais essayer de résumer aujourd’hui, sauf à tirer parti, une autre fois, de quelques-uns des autres chapitres du recueil.


Une étonnante carrière, en vérité, celle de lord Beaconsfield, et qui a de quoi surprendre tout autant ceux qui vivent au milieu de la politique et de la société anglaises que les étrangers qui nous jugent du dehors. Un homme ne possédant que fort peu d’avantages extérieurs, ne possédant pas même celui d’une éducation universitaire et des amitiés qui en sont la conséquence habituelle, un homme qui a en outre le très grave désavantage positif d’être Juif d’origine, et d’avoir assez fâcheusement débuté dans la vie publique, un tel homme se fraie un chemin, pas à pas, à travers des échecs et des déboires qui le retardent sans jamais le décourager ; il prend, comme de droit, la direction de tout un grand parti, et du parti aristocratique, d’un parti soupçonneux entre tous à l’égard d’hommes nouveaux et d’hommes sans fortune ; il s’acquiert une réputation de sagesse qui fait oublier ses anciennes erreurs ; et il finit par devenir le favori d’une cour, le maître d’un royaume, l’un des trois ou quatre arbitres des destinées de l’Europe. Il y a là plus d’un problème à résoudre, ou du moins un problème qui mérite d’être étudié sous plus d’un aspect. Quel était le véritable caractère de l’homme qui a joué un tel rôle ? A-t-il conformé sa vie à des principes qu’il avait dans le cœur, ou bien ne s’est-il servi des principes que pour en jouer comme de jetons ? Par quels talens ou par quels artifices a-t-il obtenu l’invraisemblable succès qu’il a obtenu ? Cachait-il réellement un mystère sous le manteau de sorcier dont il aimait à s’affubler ? Et comment, différant autant qu’il différait des Anglais parmi lesquels il avait à vivre, est-il parvenu à les fasciner et à les dominer autant qu’il l’a fait ?


C’est en ces termes que M. Bryce, au début de son étude, pose ce qu’il appelle très justement le « problème » ou encore l’ « énigme » de Disraeli ; et il ajoute que, aujourd’hui comme il y a trente ans, le problème attend encore une solution. Aujourd’hui comme il y a trente ans, des Anglais se trouvent « pour révérer en Disraeli un profond penseur et un noble caractère, animé du plus pur patriotisme, »