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disait qu’il n’y a plus de question d’Irlande, que le home rule, est mort, « mort comme la reine Anne, » et voilà que les Irlandais profilent de la guerre pour jouer les traîtres de théâtre et applaudir devant le monde entier aux défaites britanniques ! On s’applique à les concilier en douceur, et ils répondent aux avances de l’Angleterre par la révolte agraire et la sédition politique ! — Dès lors, dans cette majorité conservatrice qui a vu sans enthousiasme et sans illusions le gouvernement de lord Salisbury faire l’essai d’une politique de conciliation vis-à-vis de l’Irlande, ce n’est qu’un cri de protestation pour réclamer de ce même gouvernement des mesures de rigueur. On réclame, sinon la suppression, du moins la réduction de la représentation irlandaise à Westminster, comme conséquence de la baisse de la population en Irlande, et comme punition de l’ « insolence » nationaliste au Parlement : la menace de proscription est officiellement lancée par M. Chamberlain à Blenheim, en août 1901. Symptôme grave, la cause du home rule est reniée par une importante fraction de l’ancien parti libéral, par les « libéraux-impérialistes, » à la suite de lord Rosebery, de sir E. Grey, de sir H. Fowler. Les journaux conservateurs font une vive campagne contre les « agitateurs » irlandais, dénoncent le règne de l’anarchie, l’imminence d’une explosion d’attentats en Irlande. Ne pouvant imputer à l’Irlande ses crimes, on lui fait grief de sa non-criminalité, preuve, dit-on, de la toute-puissance de la Ligue, dont la tyrannie ne rencontre plus d’obstacle. On montre la Ligue mettant à néant les lois ; le terrorisme et la révolte partout ; les nationalistes eux-mêmes pliant sous le faix et implorant d’être protégés contre les tyrans populaires ; et tout le mal provenant de la faiblesse du gouvernement, qui manque à son premier devoir, au devoir d’assurer l’ordre et la souveraineté de la loi. Le gouvernement résista quelque temps, puis céda : après dix ans de suspension, il remit en vigueur, dans la moitié de l’Irlande, Dublin compris, par deux « proclamations » en date des 16 avril et 2 septembre 1902, le régime d’exception datant de la loi Balfour de 1887, la loi de coercition.

Deux mots pour expliquer ce terme de coercition, qui ne dit rien de net à nos esprits français. Du jour où le Lord Lieutenant a signé en conseil privé et fait publier dans la Gazette de Dublin une « proclamation » officielle, de ce jour-là, dans les comtés, villes ou circonscriptions spécifiées, le jury criminel est remplacé