Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la plus éclairée de la nation ne tient pas à se laisser absorber par une agitation purement agraire ou politique. De cet état de choses nouveau, les chefs de la Ligue, comme ceux de la Députation irlandaise au Parlement, ne semblent pas toujours pleinement consciens ; autoritaires et exclusifs, ils réprouvent toute critique, ils jalousent toute indépendance. Cela est d’autant plus regrettable qu’à peu d’exceptions près (notons celle des Séparatistes partisans de la « force physique »), les Irlandais vraiment patriotes sont au fond du cœur, sinon toujours pour la Ligue, du moins contre les ennemis de la Ligue, pour l’idée qu’elle représente et la cause dont elle porte le drapeau ; ils ne regardent que le drapeau sans s’inquiéter du reste. Voilà ce que n’a pas compris l’Angleterre, qui n’a vu dans la Ligue qu’une maffia ou une camorra irlandaise, et qui, croyant qu’il suffisait de la supprimer pour supprimer l’agitation, prit un jour prétexte des excès de quelques comités locaux pour appliquer à l’Irlande, une fois de plus, le vieux remède brutal, celui qui ne guérit pas : la « coercition. »


IV

Bien des choses, — et au premier rang l’Impérialisme britannique, avec son corollaire, l’Anti-impérialisme irlandais, — portaient, depuis quelque temps déjà, l’Angleterre à une politique de répression, de coercition envers l’Ile-Sœur. Si l’Impérialisme, à le prendre psychologiquement, ou le « jingoïsme, » suivant la définition qu’en a donnée M. John Morley, est en un sens l’état d’esprit engendré par cette conviction qu’il n’y a pas de difficulté politique qui ne se résolve au mieux par la force, c’est à la force qu’il devait naturellement demander la solution de la question d’Irlande, avec d’autant moins de scrupule qu’on sait combien les longues guerres et les conquêtes coûteuses peuvent endurcir le cœur d’un peuple et émousser sa sensibilité.

Il faut dire que, depuis dix ans, absorbé par d’autres soins, des intérêts plus vastes, le peuple britannique n’avait guère songé à l’Irlande. L’Anglais, même libéral, n’a guère de sympathie pour ce parent pauvre, dont la misère, la paresse et les clameurs, si fort qu’il les méprise, froissent toujours un peu sa dignité ; habitué à ses plaintes, il ne les entend plus ; la