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III

La guerre aux landlords, ou, pour mieux dire, au « landlordisme, » pas plus que la guerre au gouvernement, n’est, hélas ! chose nouvelle en Irlande. Elle n’a rien d’une agitation communiste, non plus que celle-là d’une agitation anarchique. Elle est le produit fatal d’un régime agraire imposé par la force britannique plus encore que par la loi britannique, qui a indéfiniment retardé en Irlande l’évolution naturelle de la propriété collective en propriété individuelle, et qui de tout temps a mis le très grand nombre de petits paysans ou tenants, celtes et catholiques, à la merci d’un tout petit nombre de grands propriétaires ou landlords, pour la plupart Anglais et protestans, maîtres de les évincer à volonté et de fixer les fermages arbitrairement. On sait comment M. Gladstone tenta, pour la première fois, par deux lois célèbres de 1870 et 1881, de mettre un frein à cette monstrueuse exploitation légale de tout un peuple de paysans par ceux que la confiscation avait faits les maîtres du sol, en faisant d’abord reconnaître au tenant un droit de co-propriété sur la terre, puis en faisant fixer périodiquement son fermage, ou, pour prendre le mot consacré, sa « rente, » par un tribunal spécial, la « Commission agraire. » La réforme très radicale de M. Gladstone fut très discutée, elle l’est encore ; elle a certainement fait en son temps du bien, mais tout le monde est aujourd’hui d’accord sur un point, et le gouvernement, chose étrange, est ici d’accord avec tout le monde : c’est que le régime où l’on a abouti, — cette dualité de propriété, — n’est actuellement plus tenable pour personne.

Et pourquoi ? Parce qu’il n’est qu’un compromis, non pas une solution. Economiquement, il paralyse l’industrie agricole en ôtant au landlord comme au tenant tout intérêt à la bonne culture. Pratiquement, il suscite entre eux tout un monde de procès qui ne finiront jamais : depuis vingt ans, l’Irlande vit chez l’avoué, et le nombre des solicitors a augmenté de trente pour cent ! Enfin l’on serait peut-être tenté de croire que la Commission agraire a fait bonne justice en réduisant les vieilles « rentes » de 42 pour cent en moyenne, car, en le faisant, elle a également mécontenté tous les intéressés, dont les uns disent qu’elle les vole et les autres qu’ils sont volés par elle : or, on croit pouvoir affirmer ici