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l’on s’en tient à l’agitation légale. Mais il faut dire que l’Angleterre a mis en 1899 aux mains des Irlandais une arme qu’ils se sont empressés de retourner contre elle, et qui, toute pacifique qu’elle soit, pourrait bien en lin de compte se montrer assez dangereuse : c’est le nouveau local government, ce sont les conseils élus qui dans chaque district ou comté ont remplacé ces anciens comités de landlords qu’on appelait les « grands jurys, » et qui, par le fait de l’élection populaire, sont tombés d’emblée entre les mains des nationalistes, et souvent des membres de la Ligue. Non seulement les « loyalistes » sont ainsi exclus de la vie publique locale, mais les nationalistes, et souvent les créatures de la Ligue, ont mis la main sur les places et les fonctions, — elles sont légion, — à la disposition des conseils locaux, places de médecins, d’avoués, de clerks, d’agens de toute espèce. En s’appuyant sur les corps élus, par un procédé fort connu de la politique américaine, la Ligue a d’abord doublé sa force d’action : que demain le gouvernement la supprime par mesure de police, après-demain elle se retrouvera intacte dans les assemblées locales. De plus, et tout de suite, la guerre s’est ouverte entre les assemblées locales et le pouvoir central, et il est clair que cette guerre ne finira que par la reddition ou la suppression de l’une des deux parties en présence : c’est-à-dire que l’Angleterre devra en arriver, — de deux choses l’une, — à retirer aux Irlandais ce qu’elle vient de leur donner, une part dans l’administration de leurs affaires locales, ou à leur donner ce qu’elle leur refuse depuis un siècle, une part dans l’administration de leurs affaires nationales. Le dilemme sera au moins gênant pour le gouvernement. Il y avait d’ailleurs dès l’origine quelque chose qui le préoccupait davantage : c’est le mouvement « agraire » dirigé par la Ligue parallèlement au mouvement politique, la question de la terre a, en effet, une telle prééminence dans ce peuple de paysans qu’est encore pour une grande part l’Irlande nationaliste, et Parnell lui-même l’a si bien su lier à la question de l’autonomie politique, qu’il était inévitable que l’agitation nouvelle en Irlande prît tout de suite et pardessus tout la forme d’une guerre agraire.