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entrefaites, à lui ouvrir les yeux. Un homme d’affaires, nommé du Parc, lui vint offrir au nom des défendeurs une transaction dans le procès : cette procédure, expliqua-t-il, aurait pour avantage d’empêcher la divulgation des étranges et fâcheux moyens employés par Bonnard pour la réussite de l’affaire ; et, devant la surprise que témoignait son interlocuteur, il lui parla des « pactes avec le Diable » que l’intendant concluait en son nom.

« Cette révélation surprenante et la disparition inexplicable de Bonnard me firent faire quelques réflexions, » écrit le maréchal. Il jugea nécessaire d’en informer Louvois. En dépit du refroidissement dont j’aurai l’occasion de parler tout à l’heure, leurs relations restaient suivies ; le ministre, en toute occasion, protestait de son amitié. Luxembourg fut donc le trouver, lui raconta l’histoire, le pria de faire sur-le-champ chercher et arrêter Bonnard. Mais Louvois fut pris de scrupules, fort inhabituels de sa part ; il refusa nettement d’intervenir en cette affaire, alléguant pour motif « qu’il ne faisait arrêter les gens que pour le poison, » et conseillant à Luxembourg, « si Bonnard lui avait fait quelque sottise, » de se borner tout simplement à le mettre à la porte. Voyant qu’il ne devait compter que sur soi-même, le maréchal envoya ses gens en campagne. Dès le lendemain, Bonnard fut retrouvé, conduit au logis de son maître, sous la promesse formelle « qu’il ne lui serait fait aucun mal. » Là, mis au pied du mur, en la présence de Luxembourg et de la princesse de Tingry, en la présence aussi du procureur Prieur et d’un commissaire de police requis à cet effet, Bonnard confessa tout, ses négociations avec la maîtresse de du Pin, les promesses de Lesage, toutes les conjurations et tous les maléfices, toute sa lamentable odyssée. Il n’omit qu’un seul point, — le plus grave, à vrai dire, — le faux commis par lui sur le pouvoir signé de Luxembourg. La peur retint sans doute ce dernier aveu sur ses lèvres. La confession finie et dûment enregistrée, on le laissa aller. À quelques jours de là, le maréchal, — sur l’avis de ses conseils et pour éviter tout scandale, — s’accommoda de gré à gré avec les acquéreurs de bois et, cela fait, comme il le dit lui-même, se sentit « l’esprit en repos » sur une affaire qu’il croyait enfin « consommée ; » — courte illusion, suivie d’un douloureux réveil !