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en l’honneur des quadrupèdes. Cette pensée était celle de votre excellent frère ; je l’ai surprise plus d’une fois sur son visage ; mais le vin était tiré, comme on dit, il fallait le boire. Du reste, votre domaine a été dignement fêté. Rien n’a manqué à l’éclat de cette réunion fashionable et populaire. Voilà Paris qui sait le chemin de Chantilly. Si vous voulez vous en faire une retraite, il est temps de couper court aux habitudes que Paris va prendre. Quant à moi, je ne sais rien de plus royal et de plus politique, par le temps qui court, que de faire participer la société et la foule aux jouissances qu’il est permis de se procurer avec de l’argent, quand on est prince. Aux particuliers seuls, la réclusion est permise, et elle ne les honore pas toujours, car ce qu’il y a de plus difficile à gouverner au monde, c’est la solitude. Je crois que, dans la vie des princes, il y a temps pour tout, et que c’est ce mélange de la vie publique et de la vie privée qui les fait heureux et grands, l’un et l’autre…


Paris, 18 juin 1841.

J’ai à régler avec vous, mon cher Prince, un assez long arriéré. Quand vous êtes revenu de votre campagne sur Boghar et Thaza, vous avez dû trouver trois lettres de moi qui vous attendaient à Alger. Si je ne vous ai pas écrit les vendredis suivans, c’est par suite d’une discrétion qui a peut-être mal calculé, mais qui était, à coup sûr, irréprochable. J’ai craint que tant de lettres à lire le jour même où vous reviendriez de l’expédition ne fussent pour vous une véritable fatigue, au moment où vous auriez tant besoin de repos, et j’ai mieux aimé laissé passer quelques courriers sans vous occuper de moi, me privant ainsi volontairement du plus grand plaisir que je puisse avoir depuis votre départ, celui de vous écrire. Mais, aujourd’hui, je reprends mon droit, d’autant que je me suis tout à fait trompé dans mon calcul. Je pensais que vous ne reviendriez à Alger que du 15 au 20 juin, et vous y étiez de retour le 2. Je me reprocherais d’autant plus cette interruption de ma correspondance, si elle n’avait eu lieu à bonne intention, que j’avais à vous féliciter du nouveau grade que vous avez obtenu[1]. Les félicitations ne vous auront pas

  1. Le 26 mai 1841, le Prince était nommé colonel au 17e léger. Ses états de services portent : « 1841, à l’armée d’Afrique. Ravitaillemens de Médéah et de Milianah. Expéditions de Boghar et Thaza. Cité à l’ordre de l’armée pour sa conduite aux combats des 3 et 4 avril, 2, 3 et 5 mai. »