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habits râpés, à moins qu’ils n’aient été usés à la bataille. Quant au langage, même sous le feu, il doit être poli et distingué. J’aime excessivement votre coq blessé, c’est ingénieux et noble ; si c’est de votre invention, comme je n’en doute pas, je vous en fais mon compliment, et vous savez si, de ma part, un compliment est sincère. Mais, je vous en prie, veuillez être persuadé qu’un prince qui n’aurait pas fait, en rhétorique, d’aussi bons discours, et si longtemps, n’aurait pas fait au camp une si belle phrase. Les mots sublimes partent du cœur ; le vôtre vous en inspirera peut-être, pendant le cours de votre carrière militaire ou politique, que vous ne devrez qu’à vous[1], mais un discours entier, un beau rapport, un ordre du jour, pour frapper cela au bon coin, il faut toutes les études que vous avez faites, et les bonnes habitudes de style que vous avez prises.

Je m’arrête, car je suis décidé à ne pas dogmatiser aujourd’hui et j’arrive aux faits. Les journaux vous apporteront le détail de la discussion relative aux fortifications de Paris, dans la Chambre des Pairs. Quant au résultat, il est magnifique : 66 voix de majorité en faveur de la loi. C’est superbe ! Les calculs les plus favorables ne portaient pas cette majorité à plus de 30 voix. Il a fallu que le débat ait converti bien du monde…

Votre frère Montpensier ira prendre les eaux des Pyrénées au mois de juin. Il y trouvera Heymès, que sa santé y conduira, et sans doute Rumigny, qui va guérir à Barèges sa blessure de l’Atlas. Quant à moi, je reste ici, si je ne vais vous rejoindre là-bas. Mais, où vous trouver ? Voici les grands événemens qui vont commencer en Afrique. Dieu veuille que vous y ayez, mon cher Prince, la part de gloire qui vous y appartient, sans mélange d’amertume ni de mécompte. Je passe ma vie à formuler des vœux pour vous. Je n’oublie pas qu’il vous faut des épreuves sérieuses et je les demande pour vous. Seulement j’ajoute mes réserves, dont Dieu tiendra compte, je l’espère, car elles partent d’une affection sincère et tendre pour votre personne, et d’un profond dévouement à la cause de mon pays, qui est la vôtre.

On parle d’un voyage du Roi à Amboise, peut-être même à Randan ; en attendant, et pendant que vous allez vous battre, on prépare des fêtes pour le baptême du Comte de Paris ; je ne vous

  1. M. Cuvillier-Fleury a pu se rappeler cela quand il entendit, à Trianon, le Président du Conseil de guerre dire au maréchal Bazaine « Il restait la France ! »