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donnant à votre langage un peu de cette précision qui appartient à l’histoire. J’insiste sur cela, parce que, étant encore en âge d’apprendre, le succès de vos études précédentes vous encourage à en faire de nouvelles. Il sera noble et beau de lire un bon livre entre deux campagnes, et d’avoir, au milieu des camps, la réputation d’un esprit distingué. Il vous suffit de ne pas mettre sous le boisseau toutes les lumières, naturelles et acquises, dont votre intelligence est douée. Vous êtes bien sûr de ne passer jamais pour pédant. Vous êtes trop visiblement marqué du sceau qui est le signe manifeste des races militaires. Vous êtes soldat par goût, par vocation : osez vous montrer ce que vous êtes quand vous le voulez, un esprit fin, délicat, parleur, élégant, capable de généraliser et de préciser les faits dont les militaires se préoccupent trop exclusivement au point de vue matériel. En un mot, soyez au camp le représentant de l’esprit français, comme à Paris vous pourrez l’être, un jour, de ce brillant courage et de cette héroïque ardeur qui vous ont conduit si jeune en Afrique.

Pardon, mon cher Prince, si je viens mêler des conseils à cette vie toute d’ardeur où vous êtes jeté. C’est plus fort que moi, un reste d’anciennes habitudes. Vous excuserez la longueur du sermon, en songeant que, par ce temps de carême, c’est probablement le seul que vous entendrez. Je n’y reviendrai plus, du moins aujourd’hui. Je ne suis pas depuis assez longtemps à Paris pour vous mettre au courant de la chronique politique… Adieu, que Dieu vous garde et vous protège comme vous le méritez.


Paris, vendredi 7 avril 1841.

Mon bien cher Prince,

Nous avons reçu bien tard cette fois le courrier d’Afrique… J’attendais avec bien de l’impatience ; j’ai lu avec un plaisir non moins vif, les deux lettres de Jamin, celle du 22 et celle du 26 mars ; je le remercie bien, surtout, de m’avoir envoyé le toast que vous avez porté au 24e[1]. J’en suis très content comme style ; c’est, vous le savez, mon point de vue habituel. J’y attache une très grande importance ; je trouve que les Princes ne doivent pas plus dire des choses vulgaires que porter des

  1. Toast du Duc d’Aumale au 24e de ligne, à Alger : « Au brave colonel Gentil ! Au coq blessé du 24e ! Puisse-t-il recevoir encore d’autres blessures ! Il trouvera assez de bras forts pour le soutenir, assez de cœurs généreux pour le défendre ! »