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le reste ; le témoignage que vous me donnez de votre amitié me soutient, dans cette première et triste épreuve d’une absence que tous mes vœux chercheraient à abréger, si je ne craignais trop qu’ils fussent en contradiction avec les espérances légitimes et naturelles de votre jeunesse et de votre courage.

Jamin m’écrit que ces espérances sont à la veille de se réaliser, et, probablement que, le jour où vous recevrez cette lettre, vous serez de retour de l’expédition projetée sur Milianah. Ce ne sera là que le prélude de votre campagne d’été, et j’espère que les Arabes vous laisseront un peu tranquille pendant cette promenade militaire et qu’ils se réserveront pour résister à des attaques plus sérieuses. Nos débats parlementaires sont bien près de finir, et tous les yeux se porteront sur l’Afrique et sur vous, mon cher Prince, car ce pays-ci n’est pas encore si mauvais qu’il le paraît. Il vous aime ; au besoin, il vous le témoigne ; sa sollicitude vous suit là-bas, et le Roi, qui vous y envoie, qui vous y sacrifie noblement aux intérêts de la politique nationale, le Roi sait bien que vous êtes appelé à y jouer un rôle, et que ce ne sont pas de simples officiers qu’il charge de cette mission de représenter, sur le seul théâtre où il y ait à agir aujourd’hui, la dynastie populaire dont il est le glorieux chef. Ayez donc cette pensée toujours présente à l’esprit, que la France n’est indifférente à rien de tout ce qui vous touche, car tous vos intérêts sont les siens. Je sais que votre loyauté toute seule vous conseillera ce qu’il faut faire : prenez aussi conseil des hommes de dévouement et d’expérience qui vous approcheront, car vous êtes trop jeune pour tout savoir, trop ardent pour n’avoir pas besoin d’être quelquefois retenu. La jeunesse et l’ardeur, ce sont là deux beaux défauts, mon cher Prince ; gardez-les longtemps, mais ne vous y fiez pas toujours.

Vous avez eu une belle entrée et une audience magnifique. Vous avez été content de vous, m’écrit Jamin, et il ajoute que c’est bon signe, car vous êtes habituellement modeste. Mais sachez vous rendre justice. Nous ne devons accepter des autres que les éloges que nous nous adressons secrètement à nous-mêmes. Je ne suis pas étonné que vous ayez réussi à bien parler ; vous l’aviez appris, presque sans vous en apercevoir, en récitant, toutes les semaines, vos rédactions historiques avec un aplomb qui me charmait. J’ai toujours pensé que ces épreuves vous serviraient un jour en vous rendant la parole facile, et en