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présider, sinon pour diriger, la bataille décisive. Il prit le commandement le 2 juillet. « La chaleur était suffocante, les vivres arrivaient difficilement ; les troupes souffraient de faim et de fatigue[1]. » On ignorait au quartier général ce qu’était devenu Benedek. La cavalerie, qui fut constamment insuffisante, avait perdu le contact. Cependant l’armée autrichienne était en face, à cinq ou six kilomètres. Sa retraite sur Königgrätz avait été lamentable ; les hommes accablés, démoralisés, se traînaient plus qu’ils ne marchaient, sous une pluie torrentielle, par des chemins affreux. Si les Prussiens fussent tombés alors sur ces malheureux, affamés, harassés, terrifiés, ils les auraient anéantis. Ce spectacle avait jeté le généralissime autrichien dans une sombre prostration. Malgré des paroles de confiance de l’Empereur, apportées par le colonel de Beck, son adjudant général, envoyé pour se rendre compte, il télégraphiait, à 11 heures et demie, avec l’assentiment unanime de ses généraux[2] : « Je supplie instamment Votre Majesté de conclure la paix à tout prix ; une catastrophe de l’armée est imminente. » L’Empereur lui répond (2 h. 30) : « Conclure la paix est impossible. J’ordonne, si cela est praticable, d’exécuter la retraite avec ordre. Y a-t-il eu une bataille ? » Il y avait eu plus qu’une bataille : un effondrement moral sans bataille.

Sur le rapport de son adjudant, l’Empereur ordonne la révocation du chef d’état-major général Henikstein, de Clam-Gallas, de Crismanic, chef de la chancellerie, le véritable directeur stratégique de Benedek, et leur renvoi immédiat à Vienne. Il augmente la désorganisation, car il était impossible au nouveau chef d’état-major, Baumgarten, quoiqu’il fût présent à l’armée, de prendre en main ferme les rênes qu’on lui confiait dans une telle confusion.

Benedek était d’une indomptable vaillance morale. Dans la journée du 2 juillet, il reprit son sang-froid. En l’état de son armée, il n’avait à prendre qu’un parti désespéré, qui, seul, offrait quelque chance de réussite : se replier sur Vienne, s’unir aux forces retirées d’Italie, et tous ensemble contraindre les Prussiens affaiblis par les marches, les difficultés

  1. Bismarck à sa femme, 1er juillet.
  2. L’état-major autrichien soutient qu’il fit cette démarche sans consulter personne. Friedjung établit que tous les officiers généraux réunis furent d’avis que, sans perdre un instant, il fallait entamer des négociations avec la Prusse.