Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Affinités électives. Les tableaux ont eu beaucoup de succès. Un nouveau concerto pour piano de Beethoven est tombé. »

Il s’est relevé depuis, et si haut, que, dans l’œuvre du maître, il occupe une des cimes. Il est une des pensées, un des mouvemens les plus héroïques de l’homme que Carlyle, en son livre fameux, aurait dû nommer le Héros musicien.

Quel héros fut Beethoven, le confrère que nous citions tout à l’heure vient de le rappeler en quelques pages excellentes, qui sont comme un raccourci de l’âme du maître et de son destin, de toute sa misère et de toute sa vertu[1]. D’un bout à l’autre de sa vie, dans son cœur et dans sa chair, Beethoven fut vraiment l’homme de douleur. Enfant malheureux et non sublime, Dieu lui donna le génie d’une main rude et déjà lourde de colère. « Il fallut user de violence pour que Beethoven apprît la musique[2]. » A dix-sept ans, la mort de sa mère le jeta dans le désespoir. Son père, ivrogne et brutal, ne lui resta que pour son malheur et presque pour sa honte. Quand il eut vingt-cinq ans, son ouïe, « la plus noble partie de moi-même, » disait-il, commença de s’affaiblir. Le mal s’aggrava de plus en plus, et Beethoven cessa peu à peu d’entendre Beethoven. Pour comble d’horreur, sa surdité n’avait pas fait en lui le silence. « Mes oreilles, écrivait-il, bruissent et mugissent nuit et jour. » Et c’est contre ce fracas, contre ces voix obstinées et maudites, qu’il dut élever en lui sans cesse une voix toujours victorieuse, mais toujours contredite et combattue.

L’amour, loin de flatter sa peine, en accrut l’amertume. De toutes celles qu’aima son grand cœur pur, les unes le méconnurent et les autres le trahirent. La plus digne de lui n’osa pas vouloir jusqu’au bout être à lui et « l’immortelle bien-aimée » elle-même fut à jamais pour Beethoven « la bien-aimée absente. »

Un neveu qu’il chérissait comme un fils et que jusqu’à la fin il ne cessa d’appeler et de rappeler fut jusqu’à la fin un fils ingrat et rebelle. Ses amis (il en eut d’admirables) se dispersèrent ou disparurent avant lui, sans avoir assuré son sort. Il resta seul et farouche, pauvre, malade et taciturne, et quand il mourut, pendant un orage qui ressemblait à sa vie, et comme si, pour l’abattre, il avait fallu la foudre, « une main étrangère lui ferma les yeux[3]. »

  1. Vie des Hommes illustres. — Beethoven, par M. Romain Rolland. (Cahiers de la Quinzaine, 8, rue de la Sorbonne.)
  2. M. Romain Rolland.
  3. Id.