ses compagnes ne la précédait dans sa course, pas une seule ne marchait à sa suite. Les unes, en silence, bordaient sa route, disparaissaient sous les gerbes d’étincelles qu’elle jetait en passant ; les autres, plus éloignées, gravitaient dans leur indifférence, de peur de rompre l’équilibre d’un monde si vieux. Mais il y en eut qui coururent à sa rencontre pour la heurter de leurs masses. Elle ne s’arrêta point pour cela, mais, poussant en avant, elle passa par-dessus et les envoya tourner plus bas.
Elle volait, elle volait toujours, ayant confiance en son ange gardien, en son Dieu, qui l’avait créée, invoquant parfois de ses rayons d’or le reste des cieux ; mais le reste des cieux, immobile, oubliait ses célestes destinées.
Alors elle s’arrêta comme pour prendre haleine ; et c’était pour mourir. Se balançant dans le plus pur de l’espace, elle attendit l’avalanche des sombres étoiles qui se détachaient de toute part pour se précipiter sur elle. Ses derniers rayons étaient pâles et sanglans, mais pourtant, quelquefois encore, se ranimaient de clartés qui éblouissaient nos yeux et faisaient frémir nos âmes. Puis nous entendîmes le choc immense et nous vîmes comme une image de sang et de feu qui s’étendit sur l’horizon, et, quand il se fut dissipé, en vain nous cherchâmes à découvrir la jeune martyre dans les cieux. Où est-elle maintenant, l’Etoile de notre amour, l’Etoile de notre délire ? N’avons-nous fait que reversa lumière, ou bien sa lumière a-t-elle vraiment brillé sur nous ? Qui dira la route qu’elle a suivie dans sa détresse après que ses rayons eurent pâli ? Masse déserte, sans vie, sans chaleur, sans rayons, a-t-elle été s’abattre pour toujours vers des plages lointaines, ou bien ses débris se sont-ils éparpillés comme des grains de sable qui ne se réuniront jamais ?
Non, au Dieu vengeur et juste ne faisons point d’injure. Si, du haut de son trône, il a permis une éclipse, il ne permettra point un anéantissement, et, un jour, sur l’horizon, nous verrons de nouveau poindre le monde perdu…
Une lettre datée de Genève, 21 septembre 1831, est tout entière consacrée à pleurer sur la ruine des espérances que le jeune enthousiaste avait si tendrement caressées. Cette fois son rêve était bien fini. Cependant il ne voulait point douter de Dieu. Il se consolait en transcrivant un généreux article de Lamennais dans l’Avenir ; il gémissait éloquemment sur la fin de ses illusions, il sanglotait à la pensée que « ses forces n’étaient point de niveau avec sa destinée. » Puis, dans une lettre ultérieure, il revenait sur ses juvéniles amours : la famille, la patrie, la femme, avaient également trompé ses espérances, et il n’avait pas encore dix-neuf ans ! Son imagination s’exalte, il se voit de retour en Pologne, déporté en Sibérie, et il se plaît à établir de poignans contrastes entre la majesté sereine des Alpes et du Léman et les mornes solitudes du Septentrion. (Lettre du 31 décembre 1831.) L’avenir ne devait pas être aussi tragique qu’il