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responsabilité. En vérité, je n’ai pas souhaité cette tâche ; je ne l’ai pas ambitionnée, mais je ferai, avec sang-froid, avec énergie et avec calme, tout ce qui dépendra de moi pour la bien remplir. On verra bien alors que je suis un modeste soldat. Si Dieu bénit l’Autriche et son armée, quel que soit le lieu où gise mon corps, ma vie sera payée un million de fois, et tu devras supporter cette épreuve avec religion et peut-être, aussi, avec un légitime orgueil. Mais, si je reviens vers toi comme un général battu, alors montre de la compassion et permets-moi de supporter mon malheur en silence comme il convient à un homme. Je vais, tranquille et résolu, au-devant de ma destinée ; je consentirais volontiers à me sacrifier pour l’Empereur. Aujourd’hui est le dernier jour de mon séjour à Olmütz, et je veux, une dernière fois, te presser en pensée sur mon cœur, t’embrasser et te bénir. Je te remercie de toutes les attentions que tu as eues pour moi ; de tous les témoignages d’amitié, d’amour et de bonté que tu m’as donnés depuis plus de vingt ans. Je suis plein d’espoir et de confiance en Dieu : ma vieille fortune militaire ne m’abandonnera pas. Pour le moment, je suis sain de corps et d’âme, plein de courage ; je suis maître de mes nerfs, et j’ai pleine conscience de mon énergie et de ma volonté de fer, bien qu’au fond du cœur je sois modeste et résigné. Que Dieu te protège, ma bien-aimée, ma bonne Julie ; qu’il protège l’Autriche et qu’il se montre bienveillant pour celui qui t’aime sincèrement (20 juin). »


IV

Le 18, après son entrée à Dresde abandonné par les Saxons, l’armée prussienne formait trois groupes : l’armée de l’Elbe, 70 000 hommes ; 1re armée, 93 000 ; 2° 115 000 ; en tout 278 000. Ces trois groupes s’étendaient de Torgau et Gœrlitz à la Neisse, séparés par des distances de 150 à 179 kilomètres.

Cette dissémination ne pouvait être maintenue, si l’on voulait sortir d’une position dangereuse et obtenir des résultats considérables. Moltke, s’étant, par trahison, procuré l’ordre de bataille autrichien, et ayant acquis la certitude que Benedek se dirigeait sur le Haut-Elbe, calcula les distances, et crut que, quelle que fût sa diligence, Benedek ne pourrait être concentré sur l’Elbe et en état d’agir que du 28 au 30, et que lui-même,