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aventure, mande-t-il à Blécourt non sans une certaine outrecuidance, moins je m’y accoutume, et je suis tout aussi affligé que si c’était par ma faute que ce malheur fût arrivé. Il m’a été impossible de persuader de sortir. On a cru se mettre hors d’insulte par le moyen d’une estacade qui n’était qu’une vision et des batteries qui n’étaient point fortifiées et qui ne pouvaient pas l’être en peu de temps, comme il aurait été nécessaire. Vous savez, Monsieur, de quelle manière j’ai toujours parlé des estacades[1]. »

Quelle que pût être l’opinion personnelle de Renau sur l’efficacité défensive des estacades, il n’en reste pas moins certain que le barrage établi par Château-Renault à l’entrée du bassin de Redondela fut considéré par Rooke comme un sérieux obstacle. En effet, l’amiral anglais n’osa point tenter de le forcer sans faire préalablement occuper par son infanterie l’une des deux batteries qui le commandaient. Si donc les milices eussent accompli leur devoir en résistant, comme le permettait leur supériorité numérique, aux grenadiers du duc d’Ormond, la batterie de Rande ne serait pas tombée aux mains de l’ennemi, dont la flotte n’aurait pu dès lors s’avancer jusqu’à l’estacade.

Renau se montrait mieux inspiré quand il jugeait en ces termes sévères les miliciens espagnols : « Nous avons vu faire une descente, à laquelle on aurait pu s’opposer, sans avoir la consolation d’y apporter aucun obstacle par la misère de ces milices[2]. » Château-Renault était donc bien en droit de dire à Pontchartrain dans un rapport détaillé sur cette cruelle aventure : « Elle était inévitable avec les gens auxquels nous avons eu à faire en ce pays. Vous connaîtrez encore plus aisément combien il leur était aisé de nous la faire éviter avec les moyens les plus simples et les plus naturels à des gens qui portent une épée à leur côté. Je suis toujours dans un étonnement nouveau, qui m’empêche de juger bien sûrement des principes de cet abandon dans une occasion où il me semble qu’il n’y avait qu’à paraître devant les ennemis et qu’on était si aisément à portée de le faire avec trois fois plus de troupes qu’il n’en fallait pour nous garantir[3]. »

  1. Renau à Blécourt, 3 novembre 1702. — Archives des Affaires Étrangères.
  2. Renau à Pontchartrain, 26 octobre 1702. — Archives des Affaires Étrangères.
  3. Château-Renault à Pontchartrain, 17 décembre 1702. — Archives de la Marine.