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échapper. La contagion se répandit aussitôt chez les équipages, exerçant rapidement ses funestes ravages et emportant dans l’espace de quelques semaines près de 1 500 hommes. Bien des officiers succombèrent et, parmi eux, Nesmond.

Issu d’une illustre famille de robe, le marquis de Nesmond passait alors à juste titre pour l’un des officiers généraux les plus distingués de la marine. Après avoir pris part dans sa jeunesse aux expéditions de Tripoli et de Candie, il avait longtemps guerroyé contre Ruyter, sous les ordres du maréchal d’Estrées. Chef d’escadre, il s’était distingué à Bévéziers et plus tard à la Hougue, où, commandant une division d’avant-garde, il contint les Hollandais par la puissance de son feu. Lieutenant général depuis plusieurs années, Nesmond pouvait entrevoir les plus hautes dignités couronnant un jour sa carrière. Mais voici qu’en ses immuables desseins la Providence permet à la mort de le frapper plein d’ardeur et plein d’espérances, sans même lui accorder la fin du soldat.

Rosmadec, chef d’escadre, qui déployait également toutes les qualités d’un officier général, fut, lui aussi, enlevé quelques jours avant Nesmond, au moment où il venait d’être nommé gouverneur des îles.

Le commandement revenait donc de droit à Beaujeu. Il arbora aussitôt le pavillon de contre-amiral tandis que, conformément aux ordonnances de la marine, d’Aligre prenait la cornette de chef d’escadre.

Immobilisé depuis plus de trente ans dans le grade de capitaine de vaisseau par des légèretés de jeunesse, Beaujeu, demeuré quand même fort vaillant marin, ne se montra pas inférieur à la tâche qui lui incombait. Il s’appliqua à remonter le moral des équipages profondément atteint par la persistance du mal et par la terrifiante soudaineté de ses effets. Il eut en même temps à sévir contre la désertion croissante des matelots, dont bon nombre, attirés par les offres séduisantes des colons, s’étaient enfuis à l’intérieur de l’île.

En retrouvant, dans ce lamentable état, la flotte qu’il avait, trois mois auparavant, laissée si brillante, Château-Renault fut saisi d’une douleur profonde, rendue plus amère encore par la disparition de tant d’officiers auxquels l’unissait la plus ancienne confraternité d’armes.

L’amiral comprit la nécessité de fuir au plus vite ce climat