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IV

Enfin, le 9 avril, l’escadre entrait dans le port de la Havane dont Château-Renault, quoique portant pavillon amiral d’Espagne, salua le premier la forteresse, pour se conformer aux usages de cette puissance. Le gouverneur vint aussitôt le visiter et fit de son mieux pour procurer aux équipages les secours que le nombre croissant des malades rendait de plus en plus nécessaires. Par ses soins, cinq onces de pain avec deux onces de cassave ou de maïs, de la viande fraîche, du vin ou de l’eau-de-vie, au moins à un repas, furent attribués à chaque homme. Pour ces marins, depuis si longtemps privés de toute saine nourriture et strictement rationnés, c’était presque l’abondance, mais une abondance que sans tarder devaient suivre les plus dures privations[1].

Bientôt arrivait également à la Havane l’officier auquel l’amiral, avant même de quitter la Martinique, avait confié ses premières dépêches pour le Mexique. La Ralde en rapportait des renseignemens précis sur l’état des esprits à la Vera-Cruz, sur la situation des galions et sur les forces espagnoles. Au dire de cet officier, sa venue avait causé parmi les habitans une joie d’autant plus vive que, depuis le départ de Coëtlogon, on y considérait la flotte de Neuve-Espagne comme abandonnée par la France. Cette flotte comprenait deux vaisseaux de guerre, pourvus seulement de 44 canons, et d’une douzaine de navires assez gros, aussi fort mal armés. Leur chargement se composait principalement d’argent ; mais il était fort difficile de supputer la valeur du métal renfermé, soit en lingots, soit en espèces dans des caissons, car le nombre de ces caissons était seul enregistré, afin de laisser aux marchands, suivant la volonté du roi d’Espagne, toute liberté dans leurs déclarations. Il devait y avoir en outre quantité de cochenille, puis de l’indigo, des cuirs, du cacao, du bois de campêche, du brésillet, de la vanille, beaucoup de drogues et quelques soieries de la Chine.

Cette flotte se fût trouvée encore plus riche, si, lors de son arrivée à la Vera-Cruz, elle n’y eût rencontré la flotte précédente

  1. Château-Renault à Pontchartrain, 24 avril 1702. — Archives de la Marine.