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et, plus tard, conduisait victorieusement une division de l’armée de Tourville à la bataille de Bévéziers. Pendant quarante-trois années de navigation presque ininterrompue, Château-Renault n’avait pas subi un échec.

Bientôt on apprit qu’une flotte de soixante-quatre vaisseaux se réunissait à l’ile de Wight, sous les ordres de l’amiral anglais Rooke. La résolution prise par les Anglo-Hollandais de faire ainsi sortir leurs vaisseaux dans une saison relativement avancée, et l’ordre donné à l’amiral de n’ouvrir ses instructions qu’à une certaine hauteur en mer, ne laissaient aucun doute sur l’importance de leurs desseins. Mais quel pouvait en être l’objet ?

La sécurité de la péninsule ibérique étant garantie par d’Estrées, que Château-Renault pouvait facilement rejoindre, il ne semblait rester à Rooke que trois objectifs possibles : les côtes d’Italie, les Indes occidentales, et la flotte du Mexique, chargée des richesses que l’Espagne recevait périodiquement du Nouveau-Monde, et dont le retour était prochainement attendu.

La promptitude avec laquelle l’Autriche venait de porter la guerre en Italie donnait particulièrement lieu de penser que l’armée anglo-hollandaise se disposait à soutenir avec toutes ses forces les prétentions de l’Empereur sur le royaume de Naples, où sa présence encouragerait les partisans de ce prince à se déclarer. En envoyant immédiatement Château-Renault rejoindre d’Estrées à Cadix, et en leur faisant à tous deux reprendre la mer, aussitôt cette jonction opérée, pour suivre pas à pas les Anglo-Hollandais dans la Méditerranée, il était possible, même sans ouvrir les hostilités, d’entraver l’exécution de leurs projets.

Mais il fallait tenir compte de certains avis secrets d’après lesquels, une fois dans l’Océan, Rooke, détachant son lieutenant Bembow vers l’Amérique, ne pénétrerait lui-même dans la Méditerranée qu’à la tête de forces sensiblement réduites. La jonction de Château-Renault à d’Estrées devenait, en ce cas, inutile. D’Estrées, pouvant par ses seuls moyens s’opposer aux entreprises de Rooke, Château-Renault devait dès lors agir indépendamment et, lancé à la poursuite de Bembow, mettre ce dernier dans l’impossibilité de rien tenter contre les colonies espagnoles.

Aux premiers jours de septembre, Château-Renault reçut donc l’ordre d’appareiller et de conduire son escadre dans la rivière de Lisbonne où, plus aisément qu’à Brest, il se trouverait