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SADOWA


I

Le roi Guillaume et le roi Victor-Emmanuel se déclaraient généralissimes de leurs armées. Dès lors la désignation du chef d’état-major général devenait une affaire de majeure importance. Rien n’est plus indéterminé que la fonction de major général. Avec un souverain tel que Frédéric ou Napoléon Ier, ou avec un véritable homme de guerre, les qualités du chef d’état-major sont l’assiduité, la ponctualité, la soumission, l’habitude de rédiger rapidement des ordres clairs et brefs. L’initiative et l’autorité sont les dons du chef d’état-major d’un souverain insuffisamment expérimenté : son impulsion se fait sentir partout et ne s’affiche nulle part ; en conduisant, il affecte d’être conduit et se présente comme le simple exécuteur des résolutions qu’il a prises, d’autant plus maître qu’il s’efforce de le paraître moins, et qu’il attribue à son souverain la gloire et le profit des combinaisons dont il est l’auteur ; il laisse à l’indiscrète histoire le soin de le tirer de son obscurité volontaire et de lui faire sa part.

Le chef d’état-major du roi Guillaume fut Moltke. Agé de soixante-six ans, en France il eût été placé dans le cadre de réserve. Il possédait toutes les qualités requises. L’occasion ne lui avait pas encore été donnée de prouver qu’il savait prendre les subites initiatives, mais, dans la direction de l’état-major, il avait fait montre d’une sorte d’autorité et en même temps d’une connaissance parfaite de toutes les parties du commandement. Son humeur froide et taciturne, son éducation de discipline, étaient un sûr garant qu’il n’effaroucherait par aucune intempérance