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qu’une œuvre néfaste. Au lieu de fortifier au loin notre action et notre langue, elle préparera leur décadence ou leur ruine.

Or, il faut bien l’avouer, le langage tenu par certains des parrains ou des fondateurs de la Mission laïque est peu rassurant. Un des membres de son comité nous affirmait récemment qu’elle avait pour but « de détruire et de remplacer les missions de l’Eglise romaine[1]. » Pour mieux recommander la nouvelle association, il ne craignait pas d’ajouter que « ce qu’elle se propose de propager dans le monde par la parole, par l’exemple, par l’enseignement, c’est la Révolution française. » Il ajoutait : « Nous qui savons que les missions catholiques sont le principal tracas de notre diplomatie, le principal obstacle à la propagande morale et intellectuelle du républicanisme français, nous saluons avec joie la création de missions laïques destinées à supplanter les missions catholiques. »

Si tel est le programme de la Mission laïque, nous ne craindrons pas de dire qu’il est à la fois malfaisant et chimérique. On reproche parfois aux écoles congréganistes leur esprit de prosélytisme religieux ; tout esprit de propagande politique serait encore plus déplacé, de la part de nos instituteurs, et encore plus dangereux pour nos écoles, car il soulèverait davantage encore les défiances des gouvernemens et, souvent aussi, les répugnances des populations. Ni les peuples d’Orient, ni les empires d’Extrême-Orient ne sont mûrs pour l’apostolat laïque de ces nouveaux missionnaires de la Révolution et du républicanisme. Et quand les sujets du Sultan Calife ou du Fils du Ciel prêteraient volontiers l’oreille à de semblables leçons, — ou mieux quand la Mission laïque aurait trop de bon sens pour prétendre leur apporter un pareil Evangile, ses instituteurs ne seraient pas en état de remplacer les modestes congréganistes qu’ils se proposent de supplanter. S’il est une illusion, c’est celle de croire qu’on trouvera, parmi les laïques, assez de bonnes volontés et assez de dévouemens désintéressés pour aller au loin, en des pays inconnus, souvent hostiles ou malsains, succéder aux milliers d’humbles religieux et religieuses qui ont voué leur vie à la fondation de nos écoles françaises. Alors même que, en beaucoup de contrées, l’habit religieux

  1. Voyez, dans la Dépêche de Toulouse du 26 décembre 1902, l’article de M. Aulard, intitulé : la Mission laïque française.