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ministre de le Guerre et M. le président du Conseil ont parlé, d’ailleurs en balbutiant, et la volonté exprimée nettement par la majorité de ne pas permettre à la question de sortir du domaine judiciaire. L’administration et la justice sont deux choses d’ordres tout différens.

Que fera le gouvernement ? Les Chambres sont en vacances jusqu’au 19 mai : pendant six semaines, il est libre de son action, sauf à en répondre ensuite. Ouvrira-t-il le dossier secret, avec ou sans la présence de magistrats ? Peut-être, car c’est évidemment ce que veut M. Jaurès. M. Jaurès ne se méprend pas sur l’inanité de la démonstration qu’il a essayé de faire à la tribune. Des faits nouveaux, il n’en a pas. Des preuves, pas davantage. Qu’on ouvre donc le dossier, car il lui en faut à tout prix ; il a besoin d’une reprise de l’Affaire pour donner un élan nouveau au parti socialiste, et augmenter encore à son profit la désorganisation, non seulement des autres partis, mais du pays lui-même et de toutes les forces qui lui servent de sauvegarde. La Chambre n’a pas pu s’y tromper, après l’admirable discours par lequel M. Ribot a terminé la séance, séance longue et tourmentée où M. Jaurès s’est montré si violent, le gouvernement si décontenancé et si faible, mais où l’orateur du centre a dégagé la conscience générale du poids qui l’oppressait et a fait vraiment entendre la voix du bon sens et du patriotisme. Comme il disait qu’il ne discuterait le fond de l’Affaire avec personne dans la Chambre, un interrupteur socialiste lui a reproché de ne l’avoir jamais discutée ailleurs. « Non, monsieur, a répliqué M. Ribot, je ne l’ai jamais discutée et, en ne la discutant pas, j’ai obéi à une loi qui aurait dû s’imposer à nous tous. Je n’ai pas voulu mêler, comme vous l’avez fait, vous, dans un intérêt de parti, la politique et la justice. » C’est ce que nous disions nous-même, il y a quinze jours, de M. Jaurès et de ses amis. Sous le couvert des grands mots de justice et de vérité, ils se proposent un but politique et le plus détestable de tous. Ils cherchent à déshonorer encore quelques-uns de nos officiers et à jeter, ou essayer de jeter un peu de boue sur notre armée. Nous ne confondons pas avec eux les esprits désintéressés et sincères qui, soit dans un camp, soit dans l’autre, au prix de douloureuses angoisses, ont réellement cherché la vérité et la justice. Ceux-là sont respectables, même lorsqu’ils ont pu s’égarer. Malheureusement la politique n’a pas tardé à se mêler à l’Affaire, à s’en emparer, à la dénaturer.

Nous avons, quant à nous fait tout au monde pour les tenir séparées l’une de l’autre. Nous avons demandé la révision après la découverte du faux Henry parce qu’il y avait, cette fois, un fait nouveau et