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L’ignorance où on a été alors de la lettre du général de Pellieux n’a donc eu aucune conséquence appréciable : encore cette ignorance n’a-t-elle pas été entière, puisque la presse a reçu les confidences du général. Rien de tout cela n’a empêché la révision d’avoir lieu. Que voulait-on d’autre, et qu’aurait fait de plus M. Brisson s’il avait connu alors, et par M. Cavaignac, la lettre qu’il n’a connue que depuis, et par M. Jaurès ?

La Chambre ne s’y est pas trompée ; elle a vu tout de suite où M. Jaurès voulait la conduire ; elle a refusé d’y aller. Mais ce n’est pas la faute du gouvernement. Rien n’a égalé la surprise qu’on a éprouvée lorsque M. le ministre de la Guerre, montant à la tribune au moment où M. Jaurès en descendait acclamé par ses amis, a annoncé qu’il était disposé à faire une enquête que personne encore ne lui avait demandée. Et sur quoi, cette enquête ? On ne l’a compris d’abord qu’assez vaguement. Peut-être faut-il plaindre le général André, qui n’est pas orateur et ne se rend pas toujours compte de la portée des mots qu’il emploie, d’avoir été chargé de représenter le gouvernement dans une affaire aussi délicate. Il a dit le blanc, le noir, le pour, le contre, non pas toutefois sans avoir l’air de s’en douter, car le malheureux était étrangement embarrassé. Il a parlé de la nécessité de mettre la vérité en évidence, puis il a déclaré s’en tenir au verdict du dernier conseil de guerre, puis il a affirmé que la conscience du pays avait été inquiétée par l’admission des circonstances atténuantes et il a avoué qu’il partageait ces inquiétudes, puis il a relu la lettre du général de Pellieux que tout le monde connaissait depuis la veille, et a ajouté en propres termes : « Les secrets dont j’ai la garde et que je conserve, je les communique au Parlement. » A quoi on lui a répondu que c’était une étrange manière de les conserver ! Tantôt applaudi par la gauche et tantôt par le centre et par la droite qui y mettaient de l’ironie, suivant qu’il émettait tel ou tel membre de phrase en contradiction l’un avec l’autre, il a conclu en disant : « Je n’examine absolument pas la question, mais le gouvernement, désireux de faciliter la recherche de la vérité dans cette affaire, accepte entièrement d’être chargé de procéder administrativement à une enquête. J’ajoute que, pour sauvegarder ma responsabilité, je me propose, d’accord avec le gouvernement qui en a ainsi décidé, de me faire assister par un certain nombre de magistrats dans le dépouillement des pièces auquel il sera procédé. »

Heureusement, et nous le constatons tout de suite, la Chambre n’a pas chargé le gouvernement de faire l’enquête dont il acceptait d’être