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Pellieux aussi. Je reste donc seul pour faire la lumière sur ce triste incident, et sur la suite qui lui a été donnée, dont j’accepte toute la responsabilité. »

Le général Zurlinden peut accepter cette responsabilité : elle n’a rien que de très honorable pour lui. Il a rempli son devoir de chef avec délicatesse et avec sang-froid. Quand à la lettre du général de Pellieux, elle montre à quelles tortures morales la maudite affaire que M. Jaurès veut recommencer a condamné de braves militaires, qui n’ont pas eu toujours, et on ne saurait leur en faire un crime, l’esprit critique très solide, mais qui n’ont pas cessé un seul instant d’être profondément consciencieux, sincères et loyaux. Sa lettre, le général de Pellieux l’a retirée au bout de quelques jours, et M. Cavaignac ne l’a probablement connue qu’à la séance du 6 avril : il est permis de croire que l’obligeance de M. Jaurès n’avait pas permis à M. Brisson de l’ignorer aussi longtemps. Mais quand même cette lettre serait arrivée à son adresse au moment où elle a été écrite, quand même M. Cavaignac l’aurait reçue et ne l’aurait pas communiquée à M. Brisson, que faudrait-il en conclure ? Que M. Cavaignac aurait commis à l’égard de M. Brisson une négligence regrettable, dont celui-ci aurait droit de lui faire en style modéré quelque reproche ; et voilà tout Partir de là pour demander une seconde révision du procès Dreyfus est un défi au bon sens. L’état mental, et d’ailleurs provisoire, où le général de Pellieux est tombé en apprenant le faux Henry n’a d’intérêt que pour sa mémoire. Sur le fond des choses il ne nous apprend rien de plus que ce que la découverte du faux Henry nous avait déjà appris. Le général de Pellieux a voulu donner sa démission, et finalement ne l’a pas fait. La belle affaire ! Le général de Boisdeffre a donné la sienne à la même époque et pour les mêmes motifs. « Je viens, écrivait-il au ministre de la Guerre, d’acquérir la preuve que ma confiance dans le lieutenant-colonel Henry, chef du service des renseignemens, n’était pas justifiée. Cette confiance, qui était absolue, m’a amené à être trompé et à déclarer vraie une pièce qui ne l’était pas, et à vous la présenter comme telle. Dans ces conditions, j’ai l’honneur de vous demander de me relever de mes fonctions. » Est-ce que la lettre du général de Pellieux disait autre chose ? Trois ou quatre jours après, M. Cavaignac lui-même donnait sa démission, parce qu’il persistait à ne pas vouloir de la révision du procès Dreyfus. Est-ce que la démission du général de Pellieux, si elle avait été maintenue, aurait ajouté quoi que ce fût à l’effet produit par celle du chef de l’état-major général et du ministre de la Guerre lui-même ?