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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 avril.


La reprise de l’Affaire ! On l’a tentée ; nous l’avions annoncé il y a quinze jours ; mais, comme nous l’avions annoncé aussi, l’entreprise a avorté. M. Jaurès s’était fait fort de réveiller à lui tout seul, sous le souffle ardent de son éloquence, les fantômes endormis. Il est difficile de croire, après avoir lu son discours, qu’il ait pu compter, pour produire ce miracle, sur l’importance des faits plus ou moins nouveaux qu’il a révélés. Sur quoi comptait-il donc ? Sur la docilité, sur la soumission, sur la servilité du gouvernement à son égard. Son erreur a été de croire que ces dispositions du gouvernement, sur lesquelles il ne s’était d’ailleurs nullement trompé, détermineraient celles de la Chambre. Les choses ne se sont pas passées tout à fait ainsi. Le gouvernement, représenté par M. le ministre de la Guerre et M. le président du Conseil, — en l’absence de M. le garde des Sceaux qui seul peut-être aurait dû assister à la séance, — a été le serviteur très humble de M. Jaurès. Mais l’apparition de M. Ribot à la tribune et le langage qu’il y a tenu ont relevé les esprits abattus de la majorité. L’ordre du jour présenté par M. Jaurès et par M. Brisson a été repoussé. On a voté ensuite celui de M. Chapuis qui se divisait en deux parties : la première était une manifestation de confiance et la seconde une manifestation de défiance à l’égard du gouvernement. Cet ordre du jour s’est trouvé correspondre admirablement à l’état d’esprit de la Chambre, qui en a voté la première partie par 274 voix contre 211 et la seconde par 357 voix contre 78. La seconde seule est importante : elle déclare que la Chambre est « résolue à ne pas laisser sortir l’affaire Dreyfus du domaine judiciaire. » La première signifie seulement qu’on ne veut pas renverser le gouvernement à