Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut être curieuse à faire, et l’occasion nous en est fournie par le livre que M. Gaston Boissier vient de consacrer à Tacite[1]. De tous les historiens de l’antiquité, il n’est pas douteux que Tacite ne soit aujourd’hui, en France, le plus goûté. « Il a ce privilège, dans le déclin des études classiques, d’avoir conservé toute sa popularité. Non seulement on le lit encore, quoiqu’on ne lise plus guère les auteurs anciens, mais parler de lui est presque une raison de se faire lire. » Le XVIIe siècle s’est complu dans Tite-Live, le XVIIIe dans Plutarque, le XIXe dans Tacite. D’où vient cette prédilection ? C’est une question qu’il peut être utile de résoudre et à laquelle l’étude de son nouveau biographe nous fournit aisément la réponse.

Il est sans doute superflu de faire ici ressortir les mérites d’un livre de M. Boissier ; mais nous pouvons bien louer l’auteur de la continuité et de l’allégresse de son labeur. Il y a tantôt quarante ans que paraissait le premier de ces livres où il fait revivre pour nous l’antiquité. Cicéron et ses amis fut publié en 1863, et c’est un livre qui fait date. L’auteur y montrait avec éclat que les choses d’autrefois peuvent nous paraître aussi nouvelles, aussi actuelles que celles d’aujourd’hui. Il nous faisait entrer dans l’intimité de ces grands personnages qu’on nous avait accoutumés à voir sans cesse en représentation ; et nous étions surpris de constater que, si les anciens sont les anciens, les gens d’aujourd’hui leur ressemblent furieusement. Cicéron, sa femme, aigre, dévote et qui le vole, son ivrogne de fils, et sa chère Tullia si aimée, si pleurée, ses amis, le grave Alticus, le frivole Cœlius, nous devenaient familiers. Depuis lors il n’est guère d’époque de l’histoire romaine ou de la littérature latine dont, M. Boissier n’ait pour nous renouvelé, rafraîchi, rajeuni la connaissance. Dans ses deux ouvrages essentiels : la Religion romaine et la Fin du paganisme, il a étudié le problème le plus grave qui puisse se poser à notre esprit : comment meurt une religion ? Dans ses Promenades archéologiques, il a su avec un art incomparable ranimer le décor de l’antiquité. A travers tous ces livres, son procédé est le même : expliquer l’une par l’autre la littérature et la sociale, mêler l’étude des hommes à l’étude des œuvres. Il apporte à ce travail une surprenante lucidité d’esprit, qui lui permet de débrouiller les questions les plus compliquées, de mettre tout de suite les choses au point, d’aller droit à ce qui est frappant, neuf, curieux. Il a le don de la vie. Il est de ceux qui, de n’importe quel sujet, savent faire jaillir l’intérêt. Il reste, la plume à la main, le

  1. Tacite, par M. Gaston Boissier, 1 vol. in-16. Hachette.