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sont arrivées, et a placé dans son jardin de Marly les deux Fleuves, Méléagre, Enée et le Centaure ; ces trois premiers sont tout ce que j’ai vu de plus beau. »

Cette divulgation de la beauté classique répondait tellement à un besoin national, par l’analogie même du goût français avec l’idéal grec et latin, et la tâche apparaissait comme tellement considérable, qu’au début il y eut excès dans ce sens.

Coypel, qui, pendant un intermède de deux ans, remplaça Errard, le premier directeur, écrit à Colbert pour lui demander si les pensionnaires ne pourraient pas faire des figures d’après leurs dessins, et non pas toujours d’après l’antique. « Ils sont, déclare-t-il, dégoustés de copier. » Cependant ils n’y suffisaient pas. On leur adjoignait encore, pour les moulages, des artistes italiens. Quelquefois, ayant passé les années de leur pensionnat à faire des copies, ils obtenaient une prolongation pour exécuter des travaux personnels.

En 1749, le directeur De Troy écrit au Directeur général des Bâtimens : « Le sieur Challes, l’aîné, peintre, est ici depuis plus de six ans, mais il a fait une copie considérable pour le Roy, qu’il n’a finie que depuis quelque temps, et c’est l’ordinaire qu’on accorde aux copistes du Vatican une ou deux années pour faire des études particulières pour eux. » Ainsi, même alors, on reconnaissait bien que cet énorme labeur de copistes était imposé aux pensionnaires de Rome par la nécessité de répandre en France des modèles qu’un si petit nombre d’artistes pouvait étudier sur place, et aussi de prêter aux somptuosités royales un éclat véritablement artistique. Les privilégiés payaient ainsi leur dette au gouvernement et à la patrie. Et pour que cette dette ne dépassât pas les avantages offerts, on leur accordait, quand il y avait lieu, un sursis de séjour.

Cette rude discipline ne leur était pas imposée uniquement comme moyen d’éducation artistique. A un tel degré, elle ne leur était pas indispensable. Leur était-elle nuisible ?

Une semblable question est la plus importante qui puisse se poser lorsqu’on envisage le rôle de l’Académie de France à Rome. En effet, les adversaires de cette institution prétendent volontiers que, — même avec les règlemens actuels, où la copie imposée aux élèves est réduite à un minimum presque négligeable ; — les talens y sont trop pliés à une imitation servile, et que l’étude, ou seulement la contemplation des modèles