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l’Académie dans une voie plus large ? La laisserait-on choir dans l’ornière où elle s’enlizait, faute d’essor autant que d’argent ? Il s’en fallut de peu, comme on vient de le voir, que cette irréparable perte ne se produisît.

Qu’y avait-il donc de changé ? Pourquoi l’Académie de Rome semblait-elle, si peu après sa naissance, n’avoir plus de raison d’être, au regard de son directeur lui-même ? C’est que, d’abord issue du superbe égoïsme monarchique, qui faisait de la Cour de Versailles le contre artistique du monde, elle représentait jusqu’à présent moins une pépinière de talens, où les facultés de chacun pouvaient se développer, suivant leur nature, dans une atmosphère éminemment inspiratrice, qu’une sorte d’atelier de copies, destiné à fournir le Roi de statues pseudo-antiques pour ses parcs, de peintures fameuses à reproduire en tapisseries par sa manufacture des Gobelins, de motifs d’architecture capables d’accroître la splendeur de ses palais. Dans la pensée des fondateurs, du monarque et de son ministre, aidés par le génie tout officiel de Le Brun, les jeunes artistes dont on réclamait ce genre de labeur, s’y devaient former eux-mêmes, et, après leurs envois, rapporter en leurs personnes un goût discipliné, l’habitude du travail, la facilité de la facture, c’est-à-dire tout ce qu’il fallait pour concourir, même sans un excès de génie, à la magnificence artistique du royaume, trop bien ordonnée par une inspiration grandiose, et despotique. Mais, à suivre ce chemin, lorsque l’astre du Roi-Soleil ne l’éclairait plus, et que l’horizon s’en rétrécissait jusqu’aux mesquines conceptions d’une bureaucratie aussi pauvre d’argent que d’idéal, l’Académie de Rome fût devenue un atelier de praticiens faméliques, et eût justifié la phrase lugubre par laquelle son directeur terminait l’épître, dont nous donnions plus haut la majeure partie :

« Dans ces conjonctures, je crois qu’il suffiroit d’avoir ici un magazin et un gardien pour les caisses. »

Loué soit donc le duc d’Antin qui ne fit aux jérémiades de Poerson d’autre réponse que d’imprimer une secousse vigoureuse à cette Académie défaillante ! Il commença par trouver les subsides indispensables ; ordonna, comme dans une ville assiégée, de renvoyer les bouches inutiles — car, même dans cette misère, s’étalaient des parasites ; — fit rétablir un maître de géométrie et de perspective, exigea les travaux des élèves, et écrivit à l’abbé de Polignac (plus tard cardinal), qui jouissait à Rome d’un