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un pays aussi divisé, tout le monde s’accorde sur les principales réformes à opérer. Si, par hasard, un gouverneur général avait le loisir de consacrer quelques heures à étudier ces questions, deux ou trois décrets ou arrêtés suffiraient pour les trancher. Ne plus rémunérer les chefs indigènes sur les élémens qu’ils ont contribué à soustraire à l’impôt ; réunir les indigènes de chaque douar et faire devant eux l’appel de leurs bases d’imposition ; frapper les dissimulations non plus des peines illusoires du code de l’indigénat, mais bien de doubles ou triples taxes ; supprimer l’évaluation annuelle des récoltes, régulariser les tarifs de l’achour, telles sont les mesures qui s’imposent. Elles procureraient une plus-value certaine, et l’on pourrait ainsi arriver à la suppression de l’hockor, dont personne ne conteste plus l’illégitimité.

Tandis qu’en pays arabe on cherche à atteindre la fortune en imposant spécialement ses principales sources, le bétail et les récoltes, en Kabylie l’indigène n’est frappé que d’une contribution unique, la lezma, différente dans la province d’Alger et dans celle de Constantine. À Alger, les contribuables sont divisés en plusieurs classes, taxées chacune d’après un tarif déterminé ; la répartition par classe en est faite par la djema[1] en présence du répartiteur : c’est donc un véritable impôt de quotité. A Constantine, au contraire, la lezma est exclusivement un impôt de répartition. Tantôt le contingent de lezma du douar est fixé d’une manière immuable, tantôt il augmente ou diminue suivant le nombre des feux ; mais la détermination de ces feux n’est intéressante qu’au point de vue de la fixation du contingent du douar : dans l’un et l’autre cas, la répartition individuelle est faite exclusivement par la djema, et cela presque toujours par voie de classification des indigènes dans des catégories soumises chacune à une taxation différente. Le nombre ; des classes et leur taxation respective varient d’une commune à l’autre. Tel est, dans ses grandes lignes, l’impôt de la lezma, que l’on pourrait assez exactement considérer comme une sorte d’impôt général sur le revenu rudimentaire, affectant tantôt la forme d’une

  1. La djema est une institution exclusivement kabyle, c’est une sorte de conseil municipal indigène élu dans chaque douar, et délibérant sur toutes les questions qui l’intéressent. En théorie cette institution serait excellente, mais la plupart du temps le douar est divisé entre divers partis ou sofs, et celui d’entre eux qui détient momentanément le pouvoir en profite généralement pour opprimer violemment les autres. Les Kabyles sont donc moins éloignés de nos mœurs qu’on ne le pense généralement.