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forces chimiques. Deux procédés, en ce montent, se trouvent en présence :

Le procédé français, dû à Baeyer (le chimiste qui, le premier, en 1880, a réalisé la synthèse de l’indigotine), a pour point de départ le toluène : en traitant ce carbure successivement par l’acide azotique, un mélange de bioxyde de manganèse et d’acide sulfurique et, enfin, un mélange d’acétone et de soude caustique, on obtient un mélange d’indigotine insoluble et d’acide acétique soluble.

Mais le toluène revient cher. Aussi, en Allemagne, préfère-t-on le procédé Heumann, dans lequel la matière première est de la naphtaline, très abondante dans les produits de la distillation du goudron de houille et, par suite, très bon marché, quoique la transformation de ce carbure soit un peu plus longue, et, par suite, un peu plus coûteuse que celle du toluène.

Nous n’avons pas la prétention, ici, de nous prononcer sur la valeur comparative de ces deux procédés. Ce qui importe, c’est de savoir qui l’emportera de l’indigo naturel ou de l’indigo synthétique : la réponse est difficile. Certes, l’indigo synthétique présente des avantages de premier ordre : 1° composition constante ; 2° qualité toujours la même ; 3° fabrication indépendante des intempéries. Mais la culture des Indigo fera est si facile, la science a donné à ceux qui s’y livrent de tels, moyens d’améliorer le rendement, les coupes sont si fréquentes, les feuilles dont on extrait la matière colorante la contiennent en si grande abondance que, jusqu’à présent, les deux indigos se présentent sur le marché avec des prix à peu près égaux.

Il en a été autrement pour la synthèse de l’alizarine, réalisée en 1809 par Graebe et Liebermann, synthèse qui, la première, a appelé l’attention du public sur les perturbations que pouvait produire la chimie dans le domaine industriel et économique. La garance, qui produisait cette matière colorante, est très pauvre en alizarine ; c’est une plante délicate, qui exige des soins minutieux et qui ne peut donner de récolte que tous les deux ou trois ans. Aussi la fabrication synthétique d’une matière relativement rare, donnant des teintes belles, variées, résistantes, était sûre d’un succès retentissant. C’est ce qui eut lieu : en douze ans, la culture de la garance disparut complètement de nos départemens méridionaux et, à l’heure présente, la précieuse substance se fabrique facilement en deux ou trois journées