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capable de faire à son petit-fils un accueil qui l’humilierait. Il respectait trop en lui son propre sang.

C’était l’heure où, dans la chambre même de Madame de Maintenon, il travaillait avec ses ministres. Chacun avait son jour, à tour de rôle. Ce lundi-là était le jour de Pontchartrain qui, familier avec Saint-Simon, lui raconta la scène dont il fut seul à être témoin, et Saint-Simon, à son tour, nous l’a dépeinte comme seul il sait peindre : Madame de Maintenon, dans sa niche de damas rouge, rêveuse ; le Roi, dans son fauteuil, adossé à la muraille, en proie à une émotion qu’il dissimulait, mais qui se traduisait par de fréquens changemens de visage ; le ministre, témoin fortuit et silencieux, assis sur un pliant ; et la Duchesse de Bourgogne, tremblante, voltigeant dans la chambre d’une porte à l’autre, sous prétexte de ne savoir par laquelle entrerait le prince, et cachant son trouble sous cette agitation. Tout à coup les portes s’ouvrent, le prince entre ; il s’avance au-devant du Roi, qui redevient maître de lui, fait deux pas au-devant de son petit-fils et l’embrasse avec tendresse : puis, après lui avoir dit un mot de son voyage, il lui montre la Duchesse de Bourgogne. « Ne lui dites-vous rien ? » ajoute-t-il, d’un visage riant. « Le prince, continue Saint-Simon, se tourna un moment vers elle, et répondit respectueusement, comme n’osant se détourner du Roi et sans avoir remué de sa place. Il salua ensuite Madame de Maintenon qui lui fit fort bien. Les propos de voyage, de couchées, de chemins durèrent ainsi, et tous debout, environ un demi-quart d’heure. Puis le Roi lui dit qu’il n’étoit pas juste de lui retarder plus longtemps le plaisir qu’il auroit d’être avec Madame la Duchesse de Bourgogne, et le renvoya, ajoutant qu’ils auroient le loisir de se revoir. »

Ainsi le premier abord du grand-père ne sentait pas la disgrâce. C’était un grand point. Restait à affronter celui du père. Monseigneur, bien que prévenu de l’arrivée de son fils, ne l’avait point attendu. Il était à la comédie. Quand il en revint, le Duc de Bourgogne n’était déjà plus là. Assez naturellement, après avoir passé quelques instans dans le grand cabinet qui précédait l’appartement de Madame de Maintenon et avoir « salué et baisé les dames » que la curiosité y avait attirées, il passa dans son appartement où il demeura enfermé deux heures, en tête à tête avec la Duchesse de Bourgogne. Puis il s’ajusta pour le souper du Roi, et, pendant ce temps, la Duchesse de Bourgogne repassa dans le