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qu’ils appellent les intérêts de la Raison et de la Science laïque au-dessus des intérêts nationaux. À beaucoup d’entre eux, il ne semble point répugner de se faire, par haine de l’Église, les complices des adversaires de la France. Comment expliquer, si ce n’est par cette sorte de fanatisme à rebours, qu’ils réclament chaque année le retrait de notre ambassade auprès du Saint-Siège et l’abandon de notre protectorat catholique en Orient et en Extrême-Orient, sans se douter ou sans se soucier des coups portés par là à l’influence de la France au loin ? Ils montrent le même aveuglement lorsqu’ils exigent la suppression de toutes les congrégations françaises et la fermeture de toutes nos écoles et de tous nos établissemens congréganistes. Ils ne savent donc pas qu’en Orient comme en Extrême-Orient, ces religieux poursuivis chez nous comme rétrogrades et comme obscurantistes sont peut-être les meilleurs pionniers de notre civilisation occidentale ? Ils ignorent donc qu’à l’étranger, en Asie, en Afrique, jusqu’en Amérique et en Océanie, nos missionnaires et nos religieux de toute robe sont les principaux et souvent les seuls propagateurs de la langue et de l’influence françaises ?

Si étonnante et si scandaleuse que puisse nous sembler pareille ignorance, elle est celle de nombre de nos législateurs ; lorsqu’il s’agit de rendre justice à ces humbles serviteurs de la France, beaucoup semblent sourds et aveugles ; la passion leur ferme les yeux et leur bouche les oreilles. Obsédés par la terreur du spectre noir, ils ment ou ils dénaturent les faits les mieux connus des voyageurs. Ne leur parlez point des services rendus à la France par ses missionnaires ; ils vous feraient la réponse que me faisait à moi-même un député socialiste : « Que nous importe, à nous, l’influence de la France au loin, si cette influence ne s’exerce pas dans le sens de la Révolution ? » Voilà où les préventions anti-religieuses et la superstition anti-cléricale conduisent des hommes qui se flattent d’être des esprits forts et des esprits libres ; elles ne les rendent pas seulement injustes envers des Français qui servent au dehors la cause de la civilisation avec celle de la France ; elles étouffent chez eux le sens politique, en même temps qu’elles émoussent le patriotisme.

Tous les adversaires de l’Église, tous ceux même qui se font gloire de poursuivre le cléricalisme, n’en sont pas à ce degré de haine inepte et de fanatisme aveugle. Beaucoup ne pèchent que par ignorance ou par irréflexion. C’est à ceux-là que nous