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Prusse, plus d’homogénéité et de force dans le Nord ; pour l’Autriche, le maintien de sa grande position en Allemagne. Nous aurions voulu en outre, que, moyennant une compensation équitable, l’Autriche pût céder la Vénétie à l’Italie, car, de concert avec la Prusse, et sans se préoccuper du traité de 1852, elle a fait au Danemark une guerre au nom de la nationalité allemande ; il me paraissait juste qu’elle reconnût en Italie le même principe en complétant l’indépendance de la péninsule.

« Telles sont les idées que, dans l’intérêt de la paix de l’Europe, nous aurions essayé de faire prévaloir. Aujourd’hui il est à craindre que le sort des armes seul n’en décide. En face de ces éventualités, quelle est l’attitude qui convient à la France ? Devons-nous manifester notre déplaisir parce que l’Allemagne trouve les traités de 1815 impuissans à satisfaire ses tendances nationales et à maintenir la tranquillité ? Dans la lutte qui est sur le point d’éclater, nous n’avons que deux intérêts : la conservation de l’équilibre européen, et le maintien de l’œuvre que nous avons contribué à édifier en Italie. Mais, pour sauvegarder ces deux intérêts, la force morale de la France ne suffit-elle pas ? Pour que sa parole soit écoutée, sera-t-elle obligée de tirer l’épée ? Je ne le pense pas. Si, malgré nos efforts, les espérances de paix ne se réalisaient pas, nous sommes néanmoins assurés, par les déclarations des cours engagées dans le conflit, que, quel que soit le résultat de la guerre, aucune des questions qui nous touchent ne sera résolue sans l’assentiment de la France. Restons donc dans une neutralité attentive, et, forts de notre désintéressement, animés du désir sincère de voir les peuples de l’Europe oublier leurs querelles et s’unir dans un intérêt de civilisation, de liberté et de progrès, demeurons confians dans notre droit et calmes dans notre force. »

Après la déconvenue qui avait succédé au programme retentissant de la guerre d’Italie, il semblait au moins imprudent de régler aussi bruyamment d’avance les résultats d’une guerre à laquelle on ne participerait pas. D’ailleurs les exigences du programme étaient contradictoires et ne pouvaient se concilier. Si la Prusse était victorieuse, comment espérer le maintien de la grande position de l’Autriche en Allemagne, alors que la guerre était entreprise précisément pour la lui faire perdre ? Si l’Autriche obtenait la victoire, comment supposer qu’elle permettrait à la Prusse de s’arrondir au Nord par des annexions sur ses alliés ?