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En réalité on lui proposait galamment de se couper la gorge lui-même. Si, après avoir déjà plusieurs fois abandonné les États moyens, dont il venait de se rapprocher, il les livrait une dernière fois à la Prusse, il se fût effondré sous le mépris général ; privé de tout appui intérieur et extérieur, à la discrétion de Bismarck, quels affronts n’aurait-il pas à en redouter ? Il repoussa ces ouvertures (28 mai).

N’ayant pas réussi à entraîner l’Autriche contre la France, Bismarck dut de nouveau faire patte de velours à l’empereur Napoléon, et accepter son Congrès et même d’y aller en personne. L’idée de quitter son roi, qu’on pourrait lui changer pendant son absence, la perspective d’être obligé de soumettre ses convoitises à un débat diplomatique, l’exaspéraient : « Ils veulent que j’y aille ; soit, j’irai ; mais ce sera pour mettre le feu aux poudres : nous en partirons pour la guerre (30 mai). »


VI

La sage Autriche, comme disait Thiers, le dispensa de cet esclandre. Dans un conseil extraordinaire de cinq heures, François-Joseph décida qu’il n’acceptait le Congrès que moyennant l’engagement d’exclure toute combinaison tendant à donner à un des États invités un agrandissement territorial ou un accroissement de puissance : il revenait à l’idée, qui avait paru abandonnée, qu’une cession imposée de la Vénétie serait un suicide et qu’il valait mieux courir les chances de la bataille. En outre, il exprima l’étonnement que le gouvernement pontifical n’eût pas également été convié à venir prendre part aux délibérations sur le différend italien. La situation de l’Italie ne saurait être examinée sans qu’il soit tenu compte des intérêts de la Papauté.

Il fit annoncer cette résolution par le télégraphe à tous les cabinets, et, le même jour, il coupait le câble : il faisait déclarer à la Diète que la cour de Berlin, non contente d’élever dans les Duchés des prétentions sans fondement, avait manifesté, dans une mesure sans cesse croissante, sa tendance à les réaliser au mépris de toutes considérations, et même en faisant appel à la violence ; elle n’avait pas reculé devant l’extrémité de s’appuyer sur des ennemis extérieurs de l’Autriche. Le gouvernement impérial considérait comme vains et inefficaces tous ses efforts d’amener, d’accord avec elle, un règlement définitif et conforme