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Gortchakof présenta la même objection contre cette garantie du pouvoir temporel. Il demanda, en outre, que, pour ne pas effaroucher l’Autriche, tout en admettant bien que l’on discutât la cession de la Vénétie, on ne l’annonçât pas en termes explicites. Il suffirait de dire : « le différend italien. » L’accord existant sur les choses, Drouyn de Lhuys ne jugea pas nécessaire d’insister sur les mots, et il accepta la modification. Clarendon fit de même. Le 24 mai, partirent les lettres d’invitation de la France, suivies le lendemain de celles de l’Angleterre et de la Russie. Il fut convenu que les ministres des Affaires étrangères viendraient eux-mêmes prendre part au Congrès, munis de pleins pouvoirs, comme en 1856. La date proposée fut le mardi 12 juin.


V

Bismarck était informé de toutes parts des négociations ouvertes entre Vienne et Paris. Ami m le lui avait mandé de Rome, le tenant du cardinal Antonelli ; des banquiers l’en avaient informé de Vienne, Constantinople et Paris. Il voyait tout son édifice, à peine construit, à la veille de s’écrouler et son roi, de plus en plus hésitant et larmoyant, de nouveau en disposition de lui échapper. Son agitation fut violente. Il disait à notre ambassadeur : « Si elle est trahie par l’Italie, la Prusse n’est pas encore assez engagée pour que la retraite lui soit impossible[1]. » Ou bien : « Si l’Empereur nous abandonne en refusant de se concerter avec nous, s’il facilite la cession de la Vénétie aux Italiens, si la Prusse reste seule en face de l’Autriche et de ses alliés, nous serons placés devant cette alternative : désarmer l’Autriche par notre soumission, qui lui sera acquise pour longtemps, ou soutenir une lutte formidable, après laquelle peut-être la Prusse aura cessé d’être un contrepoids à la prépondérance de la maison de Habsbourg en Allemagne. Si le Roi m’écoute, nous combattrons. L’armée est superbe ; à aucune époque elle n’a été plus nombreuse, plus solidement organisée, ni mieux armée ; j’ai la confiance qu’elle triompherait de nos ennemis, ou qu’elle remporterait du moins des succès suffisans pour nous permettre d’obtenir une paix honorable. Nous pouvons au besoin

  1. Benedetti, 15 mai 1866.