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Vénétie, tout est changé dans l’échiquier européen ; nous avons cent fois plus d’intérêt à nous unir avec l’Autriche qu’avec la Prusse. Victorieuse, l’Autriche ne gagnerait rien ou presque rien en Allemagne, parce qu’elle y est impopulaire et soulèverait contre elle toutes les passions libérales ; la Prusse, au contraire, en donnant la main aux élémens révolutionnaires, avait acquis une énorme influence sur les esprits ; avec la victoire, elle serait intraitable, et voudrait tout avoir ; à moins d’être liée par des engagemens bien précis et absolus, elle ne nous accorderait rien, et deviendrait pour nous une cause de graves embarras. Si l’Autriche l’emportait, tout l’édifice si laborieusement construit par les Radowitz et les Bismarck croulerait de toutes parts, et les débris de la Prusse appartiendraient à qui les ramasserait, et alors, s’il nous convenait de nous étendre jusqu’au Rhin, personne ne pourrait plus s’y opposer. Il conjura donc l’empereur d’accepter sans hésiter la proposition autrichienne. »

Le prince Napoléon n’eût pas été éloigné de suivre l’impulsion de Persigny. Nullement sentimental, peu confiant dans la solidité de l’armée italienne, convaincu de celle de l’armée autrichienne, il croyait que l’Autriche toute seule vaincrait l’Italie et la Prusse. La perspective d’acquérir à coup sûr ce qu’on ne serait pas certain d’obtenir par les hasards de la guerre le tentait beaucoup. Mais le traité ! Il était allé lui-même en Italie en hâter la signature : pouvait-il conseiller de n’en tenir aucun compte ? J’ai été le confident de ses perplexités. Il crut à la fin avoir trouvé un biais qui tirerait tout le monde d’embarras. L’Autriche céderait la Vénétie avant de reprendre la Silésie ; elle se dessaisirait immédiatement entre les mains de la France. L’Empereur enverrait quelques troupes en prendre possession ; les Italiens, obligés alors de s’arrêter, n’exécuteraient pas le traité et ne pourraient être accusés d’avoir manqué à leur parole. « Garibaldi et mon beau-père crieront, me dit-il, mais ils se résigneront. »

Les politiques, tels que Fould et, à un certain moment, Boulier, furent d’avis de ne pas accepter les avances de l’Autriche. Ils conseillaient de ne se déclarer en faveur d’aucun des rivaux, de leur imposer la paix à tous deux et d’éviter ainsi de s’exposer aux conséquences incertaines de l’une des victoires, et de maintenir, par la rivalité des deux (puissances, un équilibre duquel dépendait notre sécurité. La préoccupation patriotique qui avait arrêté l’Empereur à Villafranca devait le rendre contraire à