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vœux, et allait même jusqu’à provoquer le clergé français à en prendre l’initiative. Il a parlé de quelques-uns de ses membres qui se seraient, soit dans des conversations, soit dans leurs écrits, montrés favorables à la reprise par l’Église et par l’État de leur liberté mutuelle. Il voudrait voir ce mouvement s’étendre et se généraliser. Quant à nous, qui continuons de nous placer au point de vue politique, il ne nous suffirait pas que la majorité du clergé français se montrât encline à cette solution pour qu’elle nous parût bonne et sans danger. A coup sûr, on peut imaginer un état de choses où le gouvernement et l’Église vivraient indépendamment l’un de l’autre, se tolérant, se ménageant, se respectant. Cela se voit ailleurs et pourra peut-être se voir an jour en France ; mais ce jour est fort lointain, et, dans les circonstances actuelles, telles qu’elles résultent de notre longue histoire et de nos mœurs restées religieuses, la dénonciation du Concordat serait la pire des aventures.

M. Combes la repousse et y pousse à la fois avec un mélange de prudence cauteleuse et d’audace révolutionnaire qui sont un des périls de l’heure présente. Son discours est une menace très inquiétante. On peut se demander si le Sénat s’en est bien rendu compte lorsqu’il en a ordonné l’affichage, et ce qui augmente les doutes à cet égard est le vote qu’il a émis à la séance suivante. Grâces en soient rendues à M. Clemenceau, qui, pour donner, a-t-il dit, une consécration à la politique exposée la veille par M. le président du Conseil, a demandé qu’on diminuât d’un franc le crédit affecté à notre ambassade au Vatican ! Cette manifestation lui semblait devoir être très significative. Nous ne savons pas s’il aura trouvé aussi significative celle qui s’est produite en sens inverse. Sa demande a été repoussée à une grande majorité. Elle n’en était pas moins très logique ; c’est la majorité qui ne l’a pas été. Les votes du Sénat se sont contredits et heureusement affaiblis ; mais c’est un triste remède que l’inconséquence. La situation reste grave, agitée, tournée vers les solutions extrêmes, avec un gouvernement qui subit de plus en plus les influences des partis violens auprès desquels il cherche sa force. Dans six mois, la question des congrégations sera épuisée. M. Combes le dit. C’est pourquoi il s’apprête à en amorcer une autre, la plus redoutable de toutes, celle qui peut le plus sûrement troubler la paix du pays et exposer la République à la plus grave des épreuves. Qu’importe, si c’est aussi la plus propre à assurer au ministère quelques mois de plus ?

Pour compléter le tableau de notre situation, M. Jaurès annonce qu’il se propose de reprendre à la Chambre l’affaire Dreyfus : il