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de la constatation de ces désharmonies. L’esprit mystique les a amplifiées et exagérées au-delà de toute mesure. L’âme et le corps ont été considérés comme des élémens décidément discordans et hostiles. Le corps, enveloppe de l’âme, hôte d’un moment, prison, fardeau, guenille, source de misères, a été traité en ennemi et soumis à toutes les mortifications. L’ascétisme a tenté d’extirper tous les instincts innés. Les sectes ont renchéri sur les religions et l’œuvre de la nature a été soumise par les fakirs hindous, par les derviches, par les skoptzis russes, à toutes sortes de tortures et de mutilations.

Cette lutte aveugle contre la nature fut la grande erreur des mystiques. Ce fut une réaction sans frein contre les doctrines de l’antiquité païenne. Le modèle de la vie parfaite selon la philosophie grecque, c’est une vie conforme à la nature. Tendre au développement harmonique de l’homme était le précepte commun aux Stoïciens et aux Epicuriens. La bonne nature était leur règle. Le souci de ne jamais s’en écarter a été d’ailleurs le caractère dominant de la civilisation et de la vie helléniques. Dans les arts plastiques, les Grecs ont pris pour idéal la forme humaine et ils n’ont presque jamais consenti à en altérer, par aucune fantaisie, l’image naturelle. La règle morale elle-même était exactement appropriée à la nature physique. On peut dire que la morale païenne, c’était l’hygiène, l’hygiène de l’âme comme celle du corps ; le mens saua in corpore sano fournissait la direction individuelle et sociale. — Les rationalistes, les philosophes du XVIIIe siècle, les savans du XIXe, le baron d’Holbach, W. De Humboldt, Darwin, Herbert Spencer ont adopté des vues analogues.

M. Metchnikoff admet avec eux que la morale individuelle familiale et sociale, — la morale scientifique, — doit reposer sur la base des instincts naturels de l’homme ; mais il en connaît, comme on l’a vu tout à l’heure, les désharmonies, et il en appelle de ces instincts imparfaitement fixés à des instincts perfectionnés. Le perfectionnement, d’ailleurs, se fera de lui-même lorsque l’homme, ayant écarté par la science les accidens qui causent la maladie et la décrépitude sénile, jouira d’une jeunesse saine et d’une vieillesse idéale, conformes au vœu de la nature.

Mais pourquoi la nature a-t-elle ici besoin du concours de l’homme pour le rétablissement de l’ordre régulier. Pourquoi ces désharmonies sujettes à correction ?