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il avait été traité avec la dernière cruauté par un sergent qui lui tua son seul ami, son chien. Montrant un jeune garçon de la campagne étendu sur la planche gluante qui lui servait de lit :

— J’étais, dit-il, comme celui-là.

Peu après, ordre fut donné de supprimer ces antres.

Il y eut des protestations, mais le reporter, taillant sa meilleure plume, prouva que la police n’avait pas à se mêler de ce qui était l’affaire de la charité publique et privée, des églises surtout ; que pour protéger et guérir les vagabonds adolescens, il suffirait d’ouvrir une école n’ayant rien de commun avec la maison de correction, une ferme-école de préférence. Les vieux fainéans incorrigibles n’avaient qu’à quitter New-York pour les villes où l’aumône et notamment les distributions de soupe ont encore cours, entretenant l’oisiveté. Riis n’admet la charité que méthodiquement organisée, sauf aux fêtes de Noël, où toutes les saintes extravagances lui paraissent permises. On se dédommage alors d’une contrainte nécessaire. — Et, ajoute-t-il (nous l’en croyons sans peine), j’ai souvent trouvé le temps long d’un Noël à l’autre.

Cet homme si simple peut se vanter d’avoir contribué à désorganiser Tammany et prêté main-forte dans la mesure de ses moyens à d’excellentes réformes auxquelles le nom de Roosevelt, comme chef de la police et comme gouverneur de New-York, reste attaché. Riis a d’autant plus le droit d’affirmer son dévouement enthousiaste à celui qui devait devenir Président des États-Unis que ce dévouement ne lui a jamais rien rapporté. Personne n’a plus rigoureusement que lui vécu de sa plume, au risque d’encourir le mépris du monde des politiciens. Quand, dans l’intérêt de son métier, il accompagna Roosevelt à Washington, où se préparait la guerre contre l’Espagne, on conclut qu’il avait accepté enfin un emploi considérable, mais il revint tranquillement reprendre sa place au bureau de police de Mulberry Street ; ce fut une stupeur générale. De même, des années auparavant, lorsque sa clairvoyance lui avait fait découvrir les causes d’une épidémie de choléra et obtenir ainsi des millions de dollars pour sauver de la contamination des égouts les eaux de New-York, certaines personnes ne manquèrent pas de lui demander : — Qu’avez-vous tiré de tout cela ?

En répondant la vérité : — Rien ; — il passa pour un menteur ou pour un imbécile. Mais il a l’estime des honnêtes gens, qui lui attribuent une bonne part des progrès accomplis durant les dix