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plus qu’un moyen de se libérer, c’est de demander la licitation. Indépendamment des frais élevés qu’entraîne la procédure, la propriété, mise en vente est alors fréquemment achetée à vil prix par des spéculateurs prévenus de longue date. C’est par de tels procédés qu’ont disparu certaines fortunes autrefois considérables. Il ne devrait donc pas être permis aux indigènes de sortir de l’indivision, lorsqu’il n’y a pas unanimité entre les copropriétaires. Mais à quoi bon prendre tant de précautions contre les licitations, alors qu’on permet à une famille d’aliéner la totalité de son patrimoine par le moyen des enquêtes partielles de la loi de 1887 ? Ce ne sont donc pas seulement les licitations qu’il faut entourer de garanties, mais la législation tout entière de la propriété qu’il faut refondre.

L’indigène est essentiellement imprévoyant ; il ne cultive que ce qu’il lui faut pour vivre ; c’est à grand’peine qu’il se décide à participer aux silos de réserve ou aux sociétés de prévoyance ; d’autre part, la vue du numéraire excite sa cupidité ; habilement circonvenu, il arrive vite à l’emprunt, qu’il espère ne jamais rembourser, car il compte toujours sur l’intervention d’Allah pour chasser les chrétiens du pays de l’Islam et détruire les juifs. L’emprunt le conduit fatalement à l’expropriation ; quelquefois il consent à la vente pour recevoir une somme de numéraire vite gaspillée ; il se trouve donc bientôt sans ressources, lui et toute sa famille, obligé ou de louer ses bras s’il est laborieux, ou de se livrer au brigandage s’il a des instincts d’indépendance, ce qui est le cas le plus fréquent. Il serait possible de prendre légalement pour lui des précautions que son imprévoyance ne peut lui suggérer. Pourquoi ne pas le traiter un peu comme un grand enfant qu’il est, et ne pas rendre inaliénable une portion déterminée de la propriété indivise ? On a beaucoup vanté le homestead américain, c’est-à-dire la constitution libre et volontaire d’un bien qui doit rester inaliénable entre les mains de celui qui le cultive et de ses descendans. Pourquoi la loi ne créerait-elle pas pour les indigènes une sorte de homestead légal, limité par exemple à une moitié de la propriété familiale ? Elle concilierait ainsi dans une juste mesure l’intérêt des indigènes et celui de la colonisation.


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