Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriété acquise par un Français à la barre d’un tribunal ; tantôt ils ont annulé, de leur propre autorité, des actes authentiques, dressés depuis de nombreuses années et consacrant une possession paisible et publique ; ailleurs, au lieu de se bornera constater l’existence de la propriété, ils la bouleversent pour satisfaire on ne sait quelle fantaisie ; c’est ainsi que l’on voit attribuer à des familles des terres autres que celles dont elles ont la jouissance ; qu’on établit des indivisions entre étrangers après avoir détruit celles qui existaient entre parens ; et que l’on transforme des propriétés privées, régulièrement constatées, en communaux de douars. Il en est de même en ce qui concerne les droits du domaine de l’Etat : tel commissaire voit dans toute terre non cultivée un bien vacant, et il l’attribue au Domaine, sans rechercher s’il ne s’agit pas simplement d’une jachère ou d’un terrain de parcours, sur lequel on ne remarque pas de trace d’appropriation ; tel autre considère que tous les rochers appartiennent au Domaine public, « parce qu’ils ne sont pas cultivés. » Inversement, certains enquêteurs, reconnaissant un terrain vacant, le convertissent en propriété privée ou communale, au lieu de l’attribuer au Domaine public.

Dans certains cas, l’intérêt privé des commissaires entre en jeu et l’emporte sur le sentiment du devoir : c’est ainsi que, le gouvernement général ayant fixé parmi les bases de rémunération le nombre de parcelles délimitées et celui des bornes posées, on a vu des enquêteurs multiplier le nombre des parcelles et placer une telle quantité de bornes qu’elles auraient pu constituer, en certains endroits, une limite continue. L’expérience avait pourtant déjà été faite en France, où, lors de la confection du cadastre, ce procédé de rémunération avait donné naissance à des abus analogues ; mais l’administration algérienne ne s’arrêta pas à ces vétilles : elle accueillit, tous ceux qui se présentaient pour exercer les fonctions lucratives d’enquêteur, sans s’inquiéter de leur passé, de leur instruction ou de leur moralité : peu importait comment la tâche serait accomplie, pourvu qu’elle le fût.

Peut-être tous ces inconvéniens eussent-ils pu être prévenus par l’établissement d’un contrôle sévère et intelligent ; mais les conditions dans lesquelles la surveillance fut exercée ne faisaient qu’augmenter le mal. En fait, le travail arrivait presque toujours au Conseil de gouvernement pour y être homologué, tel qu’il