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longtemps qu’on a appelé l’Islam « un christianisme simplifié. » Rien dans les rites n’est non plus en opposition avec les religions de l’Occident. Il n’existe, en effet, que cinq pratiques obligatoires : le témoignage[1], les cinq prières et ablutions journalières, le paiement des dîmes, le jeûne du rhamadan, et le pèlerinage à La Mecque pour les riches seulement. Quant à l’aumône et à la guerre sainte, elles ne sont pas d’obligation stricte. Ainsi, dans ce culte, rien d’incompatible avec les principes de la morale chrétienne. On conçoit donc que l’idée d’un rapprochement entre l’Islam et le christianisme ne soit pas absolument chimérique, s’il est entendu qu’il ne doit conduire ni à la conversion[2], ni à l’assimilation absolue. Il suffit pour cela qu’au lieu d’être une source de conflits les intérêts matériels rapprochent les diverses nationalités, et que, dans la lecture du Coran, on insiste particulièrement sur les versets qui préconisent la concorde et non sur ceux qui prêchent l’hostilité. La Russie qui, tant en Europe qu’en Asie, compte parmi ses sujets un nombre considérable de musulmans, n’a eu que de très rares difficultés avec eux.

Or, quelle est aujourd’hui la situation religieuse des musulmans d’Algérie ? Malgré l’unité de foi, il existe, dans la plupart des pays soumis à l’Islam, un personnage, qui, sous le nom de Cheikh-ul-Islam, exerce une haute autorité : plutôt théologien et grand docteur que grand prêtre, il tranche les litiges religieux, interprète le Coran et veille à la conservation île la doctrine.

Avant notre conquête, l’Algérie musulmane était soumise au Cheikh-ul-Islam de Constantinople ; depuis lors, elle reste sans

  1. Le témoignage consiste en la formule : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. »
  2. Le clergé catholique s’est toujours interdit toute propagande religieuse vis-à-vis des indigènes : c’est une ligne de conduite très prudente qui a été généralement suivie par les quelques pasteurs protestans de la colonie. On peut donc dire qu’il n’y a pas de luttes confessionnelles en Algérie. La seule nation à laquelle il soit permis de faire du prosélytisme, c’est l’Angleterre. Il s’est fondé en 1881 une institution de missions dont le siège pour l’Algérie est à Londres (19 et 21 Linton Road). Il y a quelques années elle possédait dix succursales en Algérie et dirigeait tous ses efforts vers la Kabylie ; elle étendait en même temps ses ramifications en Tunisie et au Maroc, au moyen de touristes inoffensifs, à la tournure facilement reconnaissable, ou de commerçans colportant plus de bibles que de marchandises.
    La propagande, en Kabylie, s’adresse surtout aux femmes, ce qui est particulièrement dangereux, et il y a quelques années une école fonctionnait ouvertement à Michelet, malgré un arrêté du maire.
    Ainsi, ce que nous nous interdisons de faire, nous le permettons à l’Angleterre. S’ils vivaient encore, qu’en penseraient les contemporains de M. d’Haussez ?