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accrochés à ce débris. Alors sans penser que jamais personne connaîtrait ou raconterait leur histoire ; dans la satisfaction tragique du devoir accompli jusqu’à la mort, ils entonnèrent en chœur une chanson militaire de leur pays :


Quand même la force de l’ouragan — nous pousse sur un écueil, — sous quelque forme que le danger menace noire vaisseau, — nous ne chancelons ni ne reculons. — Sans crainte de périr — nous faisons notre devoir jusqu’à notre dernier souffle.


Ces gens-là, sans nul doute, seront devant l’ennemi ce qu’ils sont devant la tempête.

Consolons-nous. Quand il est question de courage, nous n’avons rien à envier aux. autres nations de l’Europe. Notre marine a gardé l’estime et l’admiration du monde entier. La science et la valeur de nos officiers sont connues de tous. Nos équipages pourraient soutenir la comparaison avec celui de l’Iltis. Un jour, pendant les grandes manœuvres, un maître canonnier précipité, par un coup de roulis, du mat militaire, alla s’écraser sur le pont. La poitrine défoncée, la colonne vertébrale brisée, il murmurait, au milieu des hoquets de la mort, à l’oreille du médecin accouru pour le secourir : « Vous direz au commandant que j’étais à mon poste. » Cette phrase, qui s’échappait, avec la vie, de ses lèvres n’atteste-t-elle pas tout ce que l’âme française renferme encore d’abnégation et d’héroïsme ?


EDOUARD LOCKROY.