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le salut dépendra. « Pour vaincre, disait l’amiral Farragut, il suffit d’un cœur d’acier dans un bateau de bois. » Si l’affirmation de « la vieille salamandre » semble un peu exagérée dans la l’orme, la pensée est restée vraie. Rien ne peut prévaloir contre la volonté et l’héroïsme. L’attachement au devoir sera toujours plus fort que tout ce qu’inventeront l’industrie et la science. Il n’est pas de machine capable de faire capituler le cœur humain. À ce point de vue, les institutions de l’Allemagne sont admirables. Avant d’envoyer les jeunes ingénieurs aux chantiers, les recrues abord, les cadets à l’école, elle, les enferme dans une caserne où on leur apprend le sens de ces deux mots qui résumeront toute leur vie : la Patrie, l’Empereur. Ce n’est que lorsqu’ils sont pénétrés de la grandeur de leur tâche qu’on leur ouvre enfin les portes et qu’on leur permet le contact du monde extérieur. L’accession à tous les grades ne doit avoir lieu qu’à l’ancienneté : on écarte ainsi tous les sujets de rivalité ou de jalousie qui, à de certaines heures, peuvent distraire l’homme de ses obligations envers l’armée. Cependant le droit d’arriver à une situation supérieure ne suffit pas pour l’obtenir : il faut encore le consentement des camarades, de tous ceux qui portent l’épée ou qui servent, à un titre quelconque, sous le drapeau. Chaque promotion donne lieu à un vote. Les indignes ou les incapables sont exclus. Et l’estime qui unit ceux qui victorieusement ont subi l’épreuve assure la solidarité du champ de bataille.

La guerre n’a pas encore démontré la valeur de la marine allemande. Mais il est présumable que le personnel formé par de si fortes institutions, auquel on a donné une si noble idée du devoir, se montrera à la hauteur de sa tâche. Des faits isolés, que le hasard nous a fait connaître, attestent son énergie ; la conscience qu’il a, dès maintenant, du rôle qu’il doit remplir. Quelques matelots, miraculeusement sauvés par des habitans de la côte chinoise, ont raconté le naufrage de l’Iltis. Surpris par un typhon, le bateau avait été jeté sur des récifs. Le commandant, le voyant perdu, réunit ses hommes sur le pont : « Avant de mourir, leur dit-il, crions : « Vive l’Empereur ! » Ils crièrent tous d’une seule voix. Quelques instans après, la canonnière se cassa en deux : l’avant, la machine, le commandant, presque tout l’équipage furent emportés par les vagues. Il ne resta qu’un morceau de l’arrière suspendu sur le rocher et quelques marins