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exécuté, nous aurions été battus à plate couture, d’autant que nos flancs étoient découverts, et que nous n’avions pas assez de fond et de terrain pour nous pouvoir remuer[1]. » Mais les députés de Hollande s’y opposèrent, comme ils s’étaient opposés, six semaines auparavant, à l’invasion de la France. « Si Alexandre et César avaient eu dans leur camp MM. les députés de Hollande, dit sarcastiquement Eugène, leurs conquêtes auraient été moins rapides. » Grâce à eux, en effet, Vendôme et le Duc de Bourgogne purent sans encombre faire repasser à leur armée non seulement la Marck, mais l’Escaut, et venir camper à quelque distance de Tournay. Dans cette position nouvelle, on espérait pouvoir s’opposer avec succès au passage des convois de vivres et de munitions nécessaires à l’armée qui assiégeait Lille. Pendant ces quelques jours d’incertitude, on en avait, au dire de Berwick, laissé arriver deux jusqu’au camp des assiégeans.

Ce mouvement en arrière fut sinon, comme pour Vendôme, une joie, du moins un soulagement pour le Duc de Bourgogne, qui avait été en proie, durant ces quelques jours, à de cruelles perplexités. Il s’en ouvrait dans ses lettres quotidiennes à Beauvilliers : « Je suis plus embarrassé que jamais, lui écrivait-il, voyant porter sur moi une affaire d’une telle conséquence et où l’Etat est absolument intéressé. Mon recours est à Dieu, mais cela n’empêche pas que je ne souffre beaucoup intérieurement… Dieu nous éclaire et nous assiste, car, pour moi, je ne fais aucun pas qu’en tremblant. » Et le lendemain : « Je vous assure que l’état où je suis est plus pénible peut-être que labourer la terre. Mais il faut se soumettre à l’ordre de Dieu et tacher de remplir son devoir, moyennant sa grâce. » La veille du jour où l’armée allait battre en retraite, il écrivait encore à Beauvilliers : » « Pour les discours, on dira ce que l’on voudra, mais j’ai cru devoir faire et écrire ce que j’ai fait et écrit dans une matière d’une telle conséquence. Je me reproche seulement lâcheté, timidité, négligence en beaucoup d’occasions dont je demande bien pardon à Dieu. Il est constant que tout ce temps-ci a été rude pour moi, et j’ai été assez infidèle pour ne le pas prendre absolument comme je le devais. J’ai certainement souffert ces jours-ci dans les incertitudes, en voyant rouler sur moi les intérêts de l’État, et j’ai éprouvé de ces serremens de cœur que je crois

  1. Mémoires de Berwick, t. II, p. 32.